BloguesL'ère du médical : santé, maladie, hypochondrie.

L’université-qui-rend-fou

Il vaut parfois la peine de se remémorer quelques petites choses, quand la grève, clopin-clopant, dure trois mois, quatre, cinq, mille. Se souvenir pourquoi nous la faisons, nommer et répéter ce qu’on voudrait qui change, ce qu’on refusera de vivre et d’endurer à nouveau en étudiant, en enseignant, en passant le balai ou en trouvant de l’amiante dans les murs. Mais là je vais m’attarder aux études.

 

Bien sûr, il y a la question des frais. Il n’en faudrait plus du tout, jamais.

 

Mais il y aussi tout un contexte social qui vient avec les frais, plus latent, plus « Serpentard » si on peut dire : la logique de la performance et ses conséquences sur le corps/esprit. Une logique qui, il faudra le répéter aux naïfs, s’impose partout comme béton sur terre fertile ou comme télésurveillance dans les cités, ou comme flic dans rassemblements publics.

Pour un nombre croissant d’étudiant.e.s, les études supérieures sont une épreuve profondément anxiogène et dépressogène, et ce pour plusieurs raisons combinées, qui se fondent en écho les unes les autres comme des peurs qui se nourrissent en gros feedback dissonant.

D’abord il y a la précarité économique, base matérielle de l’insécurité psychologique.

L’IRIS a calculé qu’il fallait maintenant travailler plus de 6,7 semaines au salaire minimum pour payer des études supérieures, alors qu’il en fallait 2,8 semaines en 1989. Et c’est sans compter le coût des logements, de la nourriture, des transports qui ne cessent d’augmenter. Il y a presque dix ans, nos professeurs universitaires nous disaient que travailler plus de 15 heures semaines en étudiant à temps plein pouvait être directement dommageable pour les résultats scolaires.

***********éclats de rire ************

Aujourd’hui, bonne chance si tu peux trouver un boulot assez bien payé pour ne pas dépasser la quinzaine fatidique, productrice d’exclusions et d’absences notées. Donc on repassera pour les résultats scolaires.

À moins d’aller chez l’apothicaire et d’acheter ce qu’il faut pour recoller le temps qui se déchire.

De plus en plus d’entre nous consomment des médicaments de toutes sortes pendant leurs études, notamment des stimulants (Ritalin, Concerta, Adderall, amphétamines), des antianxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères, des beta-bloquants, des benzodiazépines, et ainsi de suite. Et c’est sans compter ce qu’on prend pour se détendre, dans les périodes de festivité (alcool, marijuana, coke, MDMA, …). On ne mentionne même pas les rivières de café, on se noierait.

Ces jours-ci, on entre chez le médecin en pleurs et on en ressort avec une prescription.

Faire taire l’anxiété pour se pratiquer à produire en période de rush, ou simplement pour tenter de gérer des situations ingérables, pour dormir. La course au succès pour certain est une pratique carriériste presque monastique, pour d’autres une sortie de la précarité présente ou future. Lire 3 livres en même temps, en pensant au fait qu’il faut être concentré.e pour bien lire le livre pour bien réussir l’examen pour avoir des bonnes notes pour avoir un boulot qui va possiblement nous permettre d’arriver à rembourser les dettes et à vivre, plus tard, dans un futur tout autant incertain. Cycle infernal qui éloigne de la « paix des livres », comme disait St-Exupéry.

Le poids des dettes est une épée de Damoclès qui s’enfonce dans notre peau dès le début des études, contrairement aux épées de Damoclès normales qui restent pendues aux plafonds.

La santé psychologique des étudiant.e.s universitaires (et de tous niveaux confondus) est, me semble-t-il, un des points d’ancrage majeurs entre l’éducation et le système socioéconomique. Un joint phénoménologique qui en dit long sur le caractère profondément bizarre de notre univers d’apprentissage. Sur le fait qu’apprendre rend fou.folle. Sur le fait que les idées n’ont pas le temps de mijoter.

On écrit nos travaux comme des condos, en bâclant l’édifice.

Finalement, à l’université, on apprend surtout que faire notre vie dans le capitalisme veut dire vivre avec beaucoup, beaucoup d’insécurité, d’anxiété, dans une jolie course au succès qui laisse peu de gens et de corps indemnes. La fin de session est un rite de passage qui demande une discipline du corps admirable, discipline qui sera récompensée par de hauts postes de gestion.

You’re fit for business.

Après la grève (hahaa), il ne faudra pas retourner dans la même université. Cette université rend malheureux beaucoup trop de gens, y compris bien sûr des professeur.e.s et des employé.e.s de soutien. Suicides, dépressions, anxiétés, burnouts. C’est pas rien, ça. Ce sont des cris du cœur. Écoutons-les, sinon on se fait complices. Sortons cette parole des bureaux de psychologues et de médecins, partageons-la, elle sera le socle d’une institution nouvelle, bâtie sur la guérison de nos blessures collectives.

L’ « apprentissage » devrait être l’apprentissage de l’autonomie, de la vie en collectivité, du vivre ensemble (mots différents pour la même chose), de prises de décisions démocratiques, de l’anti-succès, de la coopération, de l’arrimage organique entre les connaissances et les communautés, de la fin de la hiérarchie entre le maître et l’élève, de la curiosité, de la créativité, de l’émergence des potentialités de tous et toutes.

Je suis certain que le professeur Baillargeon aurait long à dire là-dessus.

Mais aussi Borduas, Gauvreau, et les gens du Refus Global. Il faut tout refaire.