Librairie La Liberté
Putain de Saint Foucault. Archéologie d'un fétiche
Librairie La Liberté

Putain de Saint Foucault. Archéologie d’un fétiche

Comment parler de Michel Foucault ? Comment parler d’un homme – ce serait déjà trop dire pour lui – qui récusa plus ou moins adroitement toutes les étiquettes qu’il s’était lui-même accolées ? Un homme – il faut bien des mots pour nommer les choses – qui cultiva toute sa vie le fantasme de déconstruction à travers les plus byzantines des constructions théoriques, sédiment d’un piochage obstiné et sans précédent dans les archives nationales françaises. Comment expliquer l’écrasant unanimisme autour de l’intellectuel qui eut la fantastique idée de nous raisonner sa conviction intime que la raison est trompeuse et qui, bravant de plus bel la cohérence comme Rambo l’Afghanistan, confia une somme impressionnante d’énergie à donner forme à l’informe et rendre informe la forme ?

foucaultManifestation rarissime d’un esprit encore critique devant le paradigme foucaldien, François Bousquet a tout récemment publié un court ouvrage sur le chauve le plus populaire des universités : «Putain» de Saint Foucault. Archéologie d’un fétiche. M. Bousquet s’est coquinement livré à faire l’archéologie de celui qui refusa systématiquement de parler de sa genèse individuelle ; lui servir sa propre médecine comme dit l’adage…

De prime abord, l’auteur souligne l’incroyable polysémie qui entoure l’œuvre de Michel Foucault ; il est à gauche, à droite, au centre, au trois-quarts ; historien, philosophe, marxiste, freudien, structuraliste, post-structuraliste, à-quoi-boniste, on ne sait plus trop… Il semble avoir porté tous les costumes, dans un louvoiement que d’aucuns jugeraient fallacieux (on verra sans doute ici ceux qui manquent de cœur). Une sorte de « fashion victim idéologique » en somme. Sur le tard, dans un louable accès d’intégrité, il crut bon d’informer son public que ses livres étaient en fait des fictions. Son œuvre y gagna certainement en profondeur. François Bousquet réussit malgré tout à faire émerger l’invariant de cette guacamole conceptuelle: « la poursuite d’expériences-limites […] animé[e] par une ivresse de destruction-déconstruction – l’un des multiples noms de la pulsion de mort. » (p. 80-81) Rien de tel qu’une bonne crise du Sujet pour fertiliser le désir d’anéantissement de son homme ; les années 60 livrèrent une guerre à cette notion par trop ridée de Sujet pour la remplacer par le Corps Intégral. Les normes sociétales prirent alors l’allure d’archaïsmes injustifiés, car en effet, le Sujet éconduit, la vie bonne qui visait son adéquation avec le monde devient une vaine poursuite, voire dangereuse, puisque toujours sous-tendue par un certain ordre disciplinaire, un certain modèle prescriptif. Le chemin était maintenant pavé pour que fleurissent les marges; elles pouvaient enfin sortir de l’ombre et être comme tout le monde. Mieux : elles allaient acquérir un surcroît de légitimité (l’auteur parle de « minoritocratie »). Exit le prolétariat ! Plein feu sur le lumpenprolétariat ! La masse ouvrière étant indécemment conservatrice sur le plan moral, rien n’est plus juste que de liquider la question sociale et mettre la table pour la question sociétale. Foucault « plaidait pour la fermeture des prisons, pas des usines », nous confie Bousquet (p. 72), et qu’importe si les normes sont constitutives d’une société. Du haut de sa chaire du Collège de France, confortablement inséré dans un col roulé, un individu nous convie à un renversement historique : le projet d’une société anormative. Ou la carotte libertaire du néolibéralisme.

Les pistes que nous propose François Bousquet au sujet de l’oeuvre et de la personne de Foucault pourront surprendre le lecteur habitué aux éloges dont ce dernier fait le plus souvent l’objet. Pour cause, l’époque est foucaldienne ; sa consécration récente au sein de la Pléide chez Gallimard en apparaît comme le sceau d’officialisation. Lire Putain de Saint Foucault, c’est s’offrir un moment de recul face au paradigme du l’ouverture et de la tolérance qui a le défaut de tolérer de moins en moins la contradiction.

David Labrecque, libraire