Gueule d'ange : De Jacques Bissonnette
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Gueule d’ange : De Jacques Bissonnette

Chaque fois qu’il se publie un roman policier au Québec, j’ai l’impression de radoter en en soulignant la parution, tellement le genre se fait rare chez nous. Pourtant, Jacques Bissonnette en est maintenant à son quatrième polar. Et son précédent, l’excellent Sanguine, avait placé la barre très haut.

Avec Gueule d’ange, il nous ramène son flic fétiche, l’expérimenté lieutenant Stifer, obsédé par les disparitions d’adolescentes, qui fait cette fois équipe avec la détective recrue Anémone Laurent, une diplômée universitaire en criminologie juvénile. Elle vient de laisser son boulot à la Direction de la protection de la jeunesse pour briguer un poste au sein du corps policier et, enfin, véritablement combler son désir de combattre la délinquance avec davantage de munitions. Si bien qu’elle pourra désormais compter tout autant sur son arme de service que sur son intelligence et sa sensibilité. Et elle aura besoin de tout son petit change!

Dans le quartier Centre-Sud de Montréal, deux jeunes fugueuses de 15 ans sont retrouvées assassinées. Droguées et prostituées, Claudia et Nancy ont également en commun un body-piercing particulier: l’autopsie révèle qu’elles avaient toutes deux un anneau en or, sur lequel sont gravées d’étranges inscriptions, enfilé à l’une des grandes lèvres tout près du clitoris. L’enquête nous apprend qu’une troisième comparse, surnommée Gueule d’ange, a également disparu et risque d’être la prochaine victime toute désignée.
Entre les punks itinérants, les parents désemparés et les policiers farcis de préjugés, entre la puanteur de la merde misérabiliste et le parfum d’un discours moraliste, la naïve héroïne Anémone Laurent surfe autant sur Internet que dans les caniveaux des bas-fonds des squats pour assurer le sauvetage et la rédemption de cet «ange aux ailes de tôle». Qui oserait douter de sa réussite?

Il est évident que Jacques Bissonnette flaire l’air du temps, comme sait si bien le faire le roman noir. Sauf qu’il n’échappe malheureusement pas à un opportunisme presque gênant en profitant un peu gratuitement de la mode du désarroi de cette jeunesse marginale. Trop nourrie de bonnes intentions, sa démonstration pseudo-sociologique prend vite des allures de caricature, au lieu de livrer un portrait crédible de la détresse réelle habitant ces jeunes sans-abri qui traînent dans la rue. Et, loin de nous aider à comprendre la différence qu’ils revendiquent, l’auteur la banalise en nous les présentant comme des marionnettes manipulées par le grand méchant loup.

«Les jeunes qui soumettent leur corps au body-piercing ne savent pas à quoi ils touchent. Le perçage pratiqué en Occident est fade comme un Big Mac. Mais je leur enseigne que les anneaux représentent l’enchaînement de l’homme avec les forces naturelles… Les jeunes ont perdu leur spiritualité dans ce monde matérialiste. Mais ils apprécient les histoires horribles que je leur raconte…»
Il ne faut pas croire que Gueule d’ange n’est qu’un ramassis de clichés. Sauf qu’en cette ère de squeegees, on est moins dupe que jamais. Et on ne tolère plus les grossières invraisemblances qu’on veut nous faire avaler, sous prétexte de nous présenter les monstres d’une prétendue primitive modernité. Fût-elle junkie, perforée, tatouée… Libre Expression, 1998, 303 p.