Fast-Foward : Des mots qui sonnent
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Fast-Foward : Des mots qui sonnent

Korinne-Alexandra Latour-Gendron a 15 ans, les jambes croches, les yeux qui louchent, la peau grasse, mais pas la langue dans sa poche. Elle est le symbole de l’enfant du divorce cool, et la superbe narratrice du premier roman de Diane Sansoucy, Fast Forward. Appelée Kali par ses parents, Alex par ses amis, et d’autres choses moins jolies qui la perturbent un peu, elle habite Montréal avec sa sour plus âgée qui est tellement plus fine et tellement plus belle qu’elle, leur mère pas tout à fait remise du flower power, le chum grano de la mère (alias Barbe), et le nouveau rejeton du couple (alias Barbichette). Elle a aussi un chien, alias Chien. «Quand tu t’appelles Korinne-Alexandra Latour-Gendron, que ta mère t’annonce avec les yeux qui font des free games qu’on va trouver un beau nom pour ton chiot, tu paniques raide: – Mon chien, c’est à moi. Y va s’appeler Chien. Point final. Si je suis obligée de crier après en pleine rue, je passerai pas pour une folle.»

La langue de Fast Forward, premier roman de Diane Sansoucy, n’a évidemment pas d’allure dans le monde de l’écrit, et pourtant on ne voudrait jamais y changer un mot. Charcuter les impropriétés, les anglicismes, la syntaxe de ce roman-là, ce serait comme demander à un ado de se peigner les cheveux et de mettre ses beaux souliers pour aller voir grand-maman.
Diane Sansoucy vient du monde du théâtre, ce qui explique peut-être le roulement si bien huilé de sa narration: une efficacité dans les déplacements et les changements de scène qui rappelle les romans de Michel Tremblay ou de Marie Laberge. Mais il est plus manifeste encore qu’elle vient du monde de l’adolescence, et qu’elle y habite toujours, du moins en partie. Créé par l’auteure avec la collaboration d’une adolescente, Maud Langlois, nommée en page de garde, le personnage de Kali est d’une authenticité sûre. On s’accroche à elle, à sa façade cinglante et à son âme blessée, dès les premières lignes de son monologue, qui est en fait le discours qu’elle adresse au fil de huit mois à son magnétocassette, version orale de l’exercice d’écriture thérapeutique suggéré par son psy («j’haïs ça écrire. Si je mets les bons mots dans le bon sens, ça ressemble à rien de ce que je voulais dire; si je les mets dans le sens où je les pense, c’est pas relisable.»). Elle parle, donc. Des mots implacables et drôles, qui racontent la vie dans sa chère famille reconstituée («Ça fait chic et c’est très en demande.»), et les valeureux efforts que font sa mère et son«ex-père» pour tenter de la comprendre («le pire encore, c’est quand y font de l’écoute active! Ça, ça veut dire qu’aux dix mots y te répètent ce que tu viens de dire comme si t’étais trop conne pour savoir que tu l’as dit.»).

Procès, souvent désopilant, des parents qui se font un honneur d’avoir l’esprit ouvert, mais qui l’ont surtout bien rempli de principes inébranlables; qui parlent liberté, tofu, paix et communication, mais qui ne veulent pas entendre parler d’autre chose, surtout pas de problèmes., Fast Forward est un portrait époustouflant de l’adolescence. Un délice.

Fast Forward
de Diane Sansoucy
Éd. Québec/Amérique, 1998, 192 p.