Michel Brûlé : Le goût du risque
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Michel Brûlé : Le goût du risque

Pour être publié, l’écrivain MICHEL BRULÉ s’est improvisé éditeur et a fondé Les Intouchables, il y a maintenant cinq ans. Aujourd’hui, l’éditeur renoue avec l’écriture en publiant un socio-thriller d’anticipation, La Religion cathodique. Nous avons profité de l’occasion pour tracer avec lui un bilan quinquennal…

Pour quiconque a trempé dans l’univers du livre québécois au cours des dernières années, la trajectoire de Michel Brûlé évoque autant l’errance utopique d’un Don Quichotte que la détermination réaliste et résignée d’un Sancho Pança. La force de cet ex-professeur de français à l’Université du Nouveau-Brunswick de Frédéricton, maintenant dans la mi-trentaine, aura été de dompter la bête de sa révolte tout en apprivoisant la cage des lois du marché et du métier, sans jamais dénaturer ses idéaux. «Malgré mes allures de rebelle, je suis quelqu’un de très discipliné.»

Sur la piste
A ses débuts, Brûlé se promenait de bar en café pour offrir ses livres aux habitués des cinq à sept, comme un vendeur de roses ou de bijoux de pacotille; il s’entêtait à harceler les journalistes pour qu’on s’intéresse à sa camelote, plus souvent qu’autrement de qualité douteuse. Malgré les rebuffades répétées, contre toute logique, il a persisté, il s’est acharné. Et il a vaincu!

Au point d’avoir à l’actif des Intouchables, aujourd’hui, plus d’une soixantaine de titres, dont plusieurs ont fait la manchette des médias et les palmarès des meilleurs vendeurs. C’est lui qui a convaincu la jeune étudiante Hélène Jutras de faire un livre, en janvier 95, à partir d’une lettre incendiaire publiée dans les journaux, Le Québec me tue. Encore lui qui a réussi à soutirer, avant la frénésie entourant le 50e anniversaire de Refus global, les confidences de l’artiste Marcelle Ferron dans L’Esquisse d’une mémoire. Il a renouvelé le concept de l’essai collectif, autant avec Je me souverain (à la veille du référendum) qu’avec Interdit aux autruches (contre les baby-boomers). Toujours lui qui a ressuscité la légende de Saint-Exupéry en lançant la réponse de Jean-Pierre Davidts, Le Petit Prince retrouvé (près de 20 000 copies vendues, un mégasuccès à l’échelle québécoise). Et son catalogue se verra enrichi, cette année, de quelque vingt-cinq nouveautés, dont le premier roman de l’ex-Bleu Poudre Ghislain Taschereau, L’Inspecteur Specteur et le doigt mort.

Jeu d’épreuves
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Brûlé a ouvert la porte aux jeunes écrivains inconnus trop souvent rabroués par les maisons établies. Au risque de devenir un genre de «Maison du Père» de l’édition pour auteurs sans abri. Tout en quémandant la charité pour une bouchée de pain médiatique. Ce qui n’est pas sans exercer un pouvoir d’attraction sur certains gros noms en mal de visibilité…

«J’ai toujours eu conscience de l’importance des médias. Mais moi, je veux continuer à publier des ouvres plutôt que des noms. Même si, de plus en plus, je publie des noms. La plus grande qualité d’un éditeur, c’est d’avoir du flair. Il faut courir après les bonnes idées, tout en ayant un bon jugement critique, pour ne pas laisser passer les textes intéressants.»
L’aventure de Michel Brûlé a parfois eu des allures de croisade. On dirait même qu’il s’est plu à se plaindre. «Je suis un gros éditeur qui reçoit de petites subventions. J’ai eu tellement de misère à partir cette maison. J’ai chialé ouvertement; j’ai parlé de mafia de l’édition, de fonctionnaires des subventions. Chez plusieurs éditeurs, peu importe que ça marche ou pas, on s’en fout; on publie et on encaisse. Le système de subvention est basé sur le nombre de titres. Ce qui fait qu’on publie plein de mauvais livres pour remplir les exigences. La pauvreté m’a forcé à être dynamique.»

Et les modèles qui inspirent Michel Brûlé ne sont ni français ni américains. «J’arrive des pays scandinaves; des pays pas plus gros que le Québec. On réussit à vendre les droits de traduction à travers le monde. Il faut arrêter de se prendre pour de faux Français. Les Français nous regardent avec beaucoup de mépris. Ils nous tapent sur l’épaule, mais ils nous rient ensuite dans le dos…»

Lui qui a été un bûcheron en son genre n’a surtout pas envie de jouer au colonisé. Même si le Québec est le pays invité du prochain Salon du livre de Paris… A suivre.