Jean Pelchat : La Survie de Vincent Van Gogh
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Jean Pelchat : La Survie de Vincent Van Gogh

Jean Pelchat ne manque pas d’imagination. Le Lever du corps, un recueil de nouvelles publié en 1991, ou encore Suspension, un premier roman paru en 1995, nous avaient fait découvrir cet auteur qui n’hésite pas à chambouler, par la littérature, le monde et ses certitudes.

Avec La Survie de Vincent Van Gogh, voilà qu’il repense, ni plus ni moins, l’histoire de la peinture moderne. Quelles auraient été les conséquences, questionne-t-il, si le peintre à l’oreille coupée n’avait pas brusquement mis fin à ses jours? Le récit débute à une époque indéfinie, mais que l’on sait future puisque le voyage dans le temps est alors au menu des agences de voyages. Un homme, que René Barjavel aurait qualifié de «voyageur imprudent», met le cap sur le XIXe siècle, une drôle d’idée derrière la tête. Son projet: empêcher le suicide de Vincent Van Gogh. Arrivé à destination, il trouve l’artiste en train de peindre dans un champ de blé à Auvers-sur-Oise, peu de temps avant le geste fatidique.

À cette époque, Van Gogh, fauché, méprisé par plusieurs, en proie à des crises de démence, ne voit plus aucun attrait dans la vie. Le voyageur, qui se fait passer pour un collectionneur, s’intéresse aux travaux du peintre et lui demande de faire son portrait, en échange d’un joli magot. Van Gogh, mystifié, sera bientôt détourné de son funeste projet. En effet, avant de regagner son temps, le mystérieux admirateur lui file une petite fortune qui va transformer sa vie.

Roulé mais riche et ragaillardi, le peintre investit dans l’installation d’une galerie d’art, à Paris, laquelle sera dirigée par son frère et marchand d’art Théo. Les ouvres de Vincent y sont en vitrine, bien entendu. Le succès ne se fait pas attendre: «Vincent ne cachait pas sa joie. Il était lancé, enfin, catapulté. Ce qui n’était pas vendable en juillet l’était en septembre. Il n’était plus un schildermenneke, à savoir un petit barbouilleur.»

À partir de là, Pelchat s’en donne à cour joie, inventant des rencontres entre Van Gogh et Cézanne, Apollinaire ou Max Jacob. Les courants artistiques en sont vite faussés. Van Gogh, dont les toiles ne reflètent plus la même urgence, élabore des concepts qui auraient dû appartenir à d’autres: «Vincent imaginait une personne, un paysage ou un quelconque objet familier qui se transforme selon son entourage et qui, d’une certaine manière, s’abstrait, car il ne s’agit pas seulement de sa couleur, comme c’est le cas par exemple pour les caméléons, mais de la structure de l’objet […]».

Des altérations temporelles plus profondes encore surviendront quand Van Gogh franchira le cap du XXe siècle et croisera la route d’un petit peintre espagnol vif et ambitieux, un dénommé Pablo Ruiz, qui a la coquetterie de signer Picasso. Un génie insolent auquel il fera découvrir la sculpture nègre bien avant l’heure. L’histoire de l’art ne sortira pas indemne de cette rencontre.

On perçoit partout le nouvelliste derrière le romancier, tant les chapitres sont bâtis comme de petits tableaux quasi indépendants les uns des autres. La Survie de Vincent Van Gogh est un roman bref, écrit dans une langue concise, dont la grande fantaisie n’empêche en rien la crédibilité du propos.

Pas de la grande littérature, en ce sens où l’intérêt du bouquin relève souvent de l’anecdotique, mais une histoire bien ficelée, très documentée, qui montre de manière amusante qu’il suffit de peu pour infléchir le cours des choses.