Taxi pour la liberté : Sur la route
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Taxi pour la liberté : Sur la route

Le temps d’un roman, GILLES GOUGEON a délaissé le traitement journalistique. Ici, le langage est celui de l’amour et du romanesque, bien que se profilent, en toile de fond, des événements bien réels que l’auteur connaît pour les avoir couverts.

Tenté par l’aventure du roman, le journaliste Gilles Gougeon s’en est donné à cour joie. Périple amoureux, saga internationale, Taxi pour la liberté nous conduit d’Istanbul à Miami, en passant par Budapest, Berlin, Hambourg et Montréal. Si l’histoire emprunte beaucoup au contexte de la guerre du Golfe, que l’auteur a vu évoluer de près, le territoire exploré demeure celui de la fiction.
Au début des années soixante-dix, quand Mustafa quitte la Turquie pour l’Allemagne, il ne se doute pas des conséquences qu’entraînera cette émigration. Vingt ans plus tard, enrichi et décidé à rentrer au pays, où respect et notoriété l’attendent, il doit déraciner une famille qui se plaît dans la vie berlinoise. Pour sa fille Taylin, surtout, l’idée de quitter Berlin pour une contrée inconnue n’a aucun sens, elle qui a depuis longtemps refusé la consonance turque de son prénom et se fait appeler Greta, comme des milliers de jeunes Allemandes.

À Konak, petit village de la Turquie profonde, la situation s’envenime rapidement. Greta ne supporte pas sa nouvelle identité. La belle et fougueuse jeune femme qu’elle est devenue a l’impression de vivre derrière les barreaux d’une prison; sans compter que son père, qui a renoué avec les traditions ancestrales de son coin de pays, souhaite la marier avec le fils du maire du village pour servir ses intérêts commerciaux.

Le jour où le regard de Greta croise celui de Mohammed, un Yéménite de quarante-sept ans que le hasard a mené jusqu’à Konak, elle entrevoit les portes de l’amour et de la liberté. Aux côtés de Mohammed, l’idée de se sauver puis de repartir pour l’Allemagne devient possible.

La fuite qui se trame ne sera pas de tout repos, d’autant que Mohammed comprendra tôt qu’il ne représente avant tout qu’une échappatoire, peut-être même qu’un outil. Greta serait-elle éprise de sa liberté davantage que de lui? Elle ne fait qu’à sa tête, jamais satisfaite des bribes d’indépendance conquises au jour le jour: \«Il se sentait prisonnier de la liberté qui animait la femme qu’il aimait.»
Tous deux s’engagent sur une route ponctuée de bonheurs et de drames, qui mènera Greta jusqu’en Amérique. À chaque étape transparaît le danger de voir un absolu dans la quête de liberté.

Les amours de Greta prennent çà et là les saveurs doucereuses d’un best-seller américain, mais sans doute le genre s’y prête-t-il. À vrai dire, le plus séduisant ce sont les tableaux réalisés par Gougeon: cette merveilleuse scène de marchandage dans le bazar d’Istanbul, par exemple, où Mohammed choisit un collier pour sa jeune amante; ou encore la vision dantesque du Bucarest post-Ceausescu, alors que les fuyards traversent une Roumanie désolée. Le style du carnet de voyage sied décidément bien au journaliste-romancier.
Taxi pour la liberté est né des observations de Gilles Gougeon, de lieux découverts et de personnages rencontrés au fil de ses reportages, ce qui en fait un récit crédible et proche de l’actualité. Le roman est fort bien écrit, au demeurant, et si les descriptions des pays et des peuples ont parfois plus d’intérêt que les frasques de la jeune Greta, l’auteur est parvenu à installer un authentique climat romanesque dans un livre dont certains appréhendaient qu’il ait la froideur d’un documentaire.

Taxi pour la liberté, de Gilles Gougeon
Éditions Libre Expression
1999, 281 pages