Yvon Montoya et Pierre Thibeault : Frénétiques
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Yvon Montoya et Pierre Thibeault : Frénétiques

Le problème, au Québec, n’est pas tant qu’on ne cesse de ressasser constamment les mêmes questions: c’est qu’on demande à peu près toujours aux mêmes personnes d’y répondre. Ainsi, l’intérêt de Frénétiques ne tient pas tant à la question qu’Yvon Montoya et Pierre Thibeault ont posée, mais aux treize intellectuels à qui ils se sont adressés. À côté des René-Daniel Dubois et Jean-Claude Germain, dont on connaît les opinions avant même qu’ils aient ouvert la bouche, le livre laisse place à des voix qu’on n’entend pas (encore…) aussi souvent: celles de Louise Dupré, Francis Dupuis-Déry, Suzanne Jacob, Marie-Andrée Lamontagne, Geneviève Letarte, André Major, Wajdi Mouawad, Maxime-Olivier Moutier, Serge Ouaknine, Régine Robin et Gaétan Soucy.

D’ordinaire, ce genre d’ouvrage collectif ne vaut que pour la variété des points de vue qui y sont réunis; la plupart des interventions compilées dans Frénétiques présentent quant à elles plusieurs points de convergence. Chose fort nouvelle dans le cadre d’un débat sur l’identité culturelle québécoise, on y évoque fréquemment la question des Premières Nations. Et à peu près tout le monde dénonce l’absence, au sein de notre société, de réels débats d’idées. La culture du consensus et le respect des opinions font en sorte que toutes nos discussions tombent à plat. Comme le constate Mouawad, «le droit de dire ce qu’on pense finit par anéantir toute confrontation d’idées»; ou, pour le dire dans les mots de Dubois: «Quelle que soit l’affirmation que vous faites à propos de quelque aspect de la vie en société que ce soit, vous risquez de vous faire répondre: "Ça, c’est toi qui vois ça de même!"»

Autre constante: la nostalgie de l’élitisme. La plupart des intellectuels qui interviennent ici semblent être bien déçus de constater que le «peuple» attache généralement fort peu d’importance à leurs propos. La longue introduction de Montoya et Thibeault se présente d’ailleurs comme un revampage postmodernisant de cette vieille rengaine de lettrés se plaignant d’être entourés d’incultes et d’ingrats. Ils résument bien la position de nombre de leurs collaborateurs lorsqu’ils affirment qu’«une grande partie de la population n’est pas à même de comprendre ses élites intellectuelles», sans cependant se demander si ces élites s’arrangent pour se faire comprendre. Et c’est une chose (sans doute fort juste) d’affirmer, comme le font encore les préfaciers, que «les suicides des jeunes correspondent […] à une incapacité de trouver les mots exprimant le mieux leur désarroi»; c’en est une autre de laisser entendre que cette difficulté à exprimer leur malaise serait symptomatique de la mauvaise qualité de l’enseignement de la grammaire.

Frénétiques est finalement un ouvrage qui s’interroge moins sur la place de la culture dans notre société que sur la place que celle-ci laisse aux personnes cultivées; et qui laisse entendre qu’une société n’accorde vraiment de place à la culture que dans la mesure où les intellectuels y occupent une place privilégiée… Éd. Triptyque, 1999, 139 p.