Nancy Huston : Prodige
Livres

Nancy Huston : Prodige

À l’origine, ce devait être un film, des images nées des mots. Ce long métrage destiné à Yves Angelo – qui a réalisé, l’an dernier, Voleur de vie, d’après un scénario de Nancy Huston – ne s’étant jamais concrétisé, c’est plutôt devenu un livre: des mots qui créent des images mentales.

Au reste, Prodige est bien du Nancy Huston, entrelaçant deux des grands leitmotive qui hantent son ouvre: la musique (Bach, toujours) et la maternité. L’auteure des Variations Goldberg, qui travaille volontiers sur la narration, scindée entre deux ou trente voix, nous livre ici une «polyphonie» où toute l’histoire est contenue dans les monologues des différents acteurs de l’intrigue.

Lara, une pianiste tourmentée, accouche d’une petite fille très prématurée. Tellement précoce que sa survie est improbable. La mère passe ses jours à l’hôpital auprès de sa si petite Maya, l’enjoignant de s’accrocher, lui promettant de lui offrir d’un même mouvement le don de la musique et de la vie. À dix ans, Maya la miraculée sera bien une enfant prodige, qui alliera le don de la musique, coulant naturellement chez elle, à celui du bonheur, lesquels font cruellement défaut à sa mère. Une source de souffrance pour Lara, qui voudrait tant être de retour dans la chambre blanche de l’hôpital, là où sa fille avait besoin d’elle…

Prodige questionne donc l’ambiguë relation mère-fille, la difficulté de renoncer à la fusion, la «symbiose» initiale, l’envie, et aussi les rapports entre l’art et la vie. Lara a douloureusement conscience d’être dans l’effort plutôt que dans la musique, appliquée et effrayée. «Alors que ce dont il s’agit, c’est la joie! Cette proie, à jamais hors de ma portée.»
Chez Nancy Huston, la narration est rarement banale. L’histoire de Maya (imaginée, prophétisée par Lara?) est racontée avec des sauts dans le temps, nous la montrant à dix ans alors qu’elle s’accroche toujours à son respirateur. Même s’il frôle parfois la mièvrerie, à force de joliesse, et qu’il s’inscrive d’emblée dans un registre assez mineur – comparativement à L’Empreinte de l’ange, par exemple -, Prodige offre une lumineuse variation sur les thèmes de prédilection de l’écrivaine d’origine canadienne.

Comme d’habitude, on est porté par la musique de l’écriture, et nourri par les passions qui tissent la sous-trame romanesque: la musique, mais aussi l’entomologie, l’histoire des saints, la Russie incarnée par le beau personnage de la grand-mère. Le pari de la «polyphonie» est tenu, alors que chacun des personnages, même les plus secondaires, détient une part de l’histoire. Le récit se construit ainsi, se répondant d’un monologue à l’autre, dans une facture vive et légère.

Pour finir, Prodige se débrouille sans son support cinématographique, comme Maya, sans son incubateur… Éd. Actes Sud / Leméac, 1999, 171 p.