Marie-Paule Villeneuve : L'Enfant cigarier
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Marie-Paule Villeneuve : L’Enfant cigarier

Un roman historique québécois qui nous sort de la campagne, ce n’est pas de refus. Surtout que celui-ci documente une période fort intéressante: les débuts des mouvements ouvriers, autant au Québec qu’aux États-Unis, en réaction au capitalisme sauvage de la fin du XIXe siècle.

Critique littéraire au Droit d’Ottawa, Marie-Paule Villeneuve signe là une saga populaire qui ne manque pas de souffle, et qui nous ouvre les portes d’un monde méconnu, celui des fabriques de cigares.

S’étalant de 1888 à l’an 1900, L’Enfant cigarier suit l’itinéraire du courageux Jos pour améliorer son sort. Apprenti depuis l’âge de neuf ans (malgré une récente loi qui interdit le travail des jeunes enfants) dans une manufacture sherbrookoise, où son dur labeur est récompensé par des baffes et une paie dérisoire, Jos rêve d’une vie meilleure. Tournant le dos à la soumission des siens, il se démarquera d’un père faible, se détachera d’une Église oppressante, s’éloignera d’une mère détestée et aigrie par la misère. «Révolté contre le sort qui l’avait fait naître dans cette famille pauvre, Jos avait cependant un avantage sur sa mère: il pouvait agir, car il était un homme. Elle ne pouvait que haïr.»

Notre héros fera son chemin petit à petit: il apprend à lire (son livre fétiche sera Germinal, cadeau d’un célèbre journaliste), s’installe à Chicago, l’année de l’Exposition universelle, puis accepte un job mieux rémunéré en Floride, tout en s’engageant de plus en plus dans l’organisation de l’American Federation of Labor. À la fois indépendant et solidaire de la communauté des ouvriers, le rouleur de cigares saura s’adapter aux différentes cultures qui composent l’Amérique de l’immigration. Même s’il se sent parfois «étranger parmi les étrangers» , Jos demeure insensible à l’appel de la race, qui isole trop souvent les «French Canadians»…

Outre le contexte historique et politique (les luttes d’influence entre les différentes «unions», la condition des travailleurs, particulièrement le sort des femmes et des enfants), qui fait l’intérêt du livre à lui seul, il ne manque aucun ingrédient à cette efficace épopée, bien structurée, qui entremêle assez habilement la grande et la petite Histoire: des amours, dont une passion malheureuse pour une belle Juive, le drame d’une sour séduite et abandonnée par son amant.

On peut parfois déplorer des personnages secondaires équarris assez sommairement, la couleur passe-partout des dialogues (qui, il est vrai, doivent refléter plusieurs langues), des infos un peu schématiques. Mais dans l’ensemble, l’auteure a incarné sa trame historique dans un récit à la fois instructif et attachant, qui a le mérite de mettre en lumière la question du travail des enfants. Rappelons que dans certaines parties du monde, cette fin de siècle ressemble douloureusement à la précédente… Éd. VLB , 1999, 407 p.