Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits
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Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits

Critique de bande dessinée au quotidien Le Droit d’Ottawa, Paul Roux a rassemblé en un volume des entrevues réalisées en 1997 et 1998 avec douze grands bédéistes belges et français. Cela donne Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits, une brochette, ou plutôt, comme le suggère la couverture du recueil, une marmite assez bien remplie, composée entre autres de William Vance,«l’aventurier de l’image», Jean-Claude Mézières, «le cow-boy intergalactique», François Bourgeon, «le créateur de mondes», et Jean Van Hamme, «le prolifique». Un livre qui a deux qualités: nous donner envie de relire les classiques du genre et nous les faire considérer du point de vue de leurs
créateurs.

Les auteurs présentés par Roux, parmi lesquels ne figurent aucune femme ni jeune auteur montant, ont tous entrepris leurs activités au plus tard dans les années 60. Au fil des entretiens ressort l’opposition entre les débuts dans le métier et les carrières devenues accaparantes; l’exaltation de la jeunesse, des premières chances et des premiers succès a laissé la place à une maturité encore passionnée, mais où la prospérité d’une ouvre devenue monumentale doit être «gérée».

L’ouvrage permet également de découvrir, ou de confirmer, que dans le petit monde de la bande dessinée, il y a une part vitale d’émulation, de relations de mentor à disciple et de compagnonnage. Par exemple, le scénariste fait équipe avec le dessinateur (Charlier avec Giraud, Van Hamme avec Rosinski, Greg avec Vance). Le jeune apprenti assiste un maître surchargé de travail (Jean Giraud, créateur de Blueberry, commence en tant qu’assistant de Jijé, tandis que Walthéry, futur père de Natacha, participe aux Schtroumpfs de Peyo). Le débutant débordant d’ambition présente ses premiers dessins à un éditeur bien établi (Roba est engagé aux Éditions Dupuis après avoir montré ce qu’il appelle ses «petits dessins» à Maurice Rosy). Un climat d’ébullition s’installe autour des différentes revues, comme Spirou ou le défunt Pilote, qui rassemblent talents, idées et amitiés. Lorsque l’un des créateurs est en panne d’inspiration pour un gag ou un scénario, explique Roba, on va jusqu’à organiser des séances entre scénaristes et dessinateurs afin de venir en aide au copain pour qui approche la date de tombée.

Mentionnons la présence d’anecdotes savoureuses: celle de Dany racontant que, dans les séances de dédicaces, des lecteurs lui demandent de déshabiller son innocente héroïne, Colombe Tiredaile (la compagne d’Olivier Rameau); ou encore celle de Jean-Claude Mézières qui, durant sa jeunesse, vagabonda aux États-Unis où il pratiqua le métier de cow-boy et fut également illustrateur pour un journal local mormon (rentré en France, il crée avec Pierre Christin la populaire série SF Valérian en 1967).

Paru aux Éditions Mille-Îles, qui ouvrent dans le développement et la diffusion de la bédé québécoise et qui se distinguent par une qualité matérielle et de contenu égalant les produits européens, le livre de Paul Roux est le premier titre d’une nouvelle collection exclusivement consacrée aux ouvrages de référence et d’analyse sur le neuvième art. Cette collection, «Argus» (dont le nom s’inspire du géant mythologique qui avait cent yeux) a choisi de marquer sa naissance en passant par des oeuvres d’autant de «géants», dont la postérité est d’ores et déjà assurée. Une potion prudente qui, nous promet-on, devrait précéder des études, d’approches diverses, portant sur tous les courants et genres de bandes dessinées, au-delà des classiques.

Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits et ils y sont restés!

Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits
de Paul Roux
Éd. Mille-Îles, collection «Argus », 1999, 172 p.