Aline Apostolska : Guerre et paix
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Aline Apostolska : Guerre et paix

Journaliste, essayiste, auteure de contes et, bientôt, de romans, Aline Apostolska publie coup sur coup un récit autobiographique: Lettres à mes fils qui ne verront jamais la Yougoslavie, et un recueil de chroniques: Les Grandes Aventurières. Le point commun aux deux livres? L’amour de  l’histoire.

«Ces Lettres, je les ai écrites pour mes fils, mais c’est leur affaire s’ils veulent les lire ou non!» Ces mots, Aline Apostolska, écrivaine et journaliste française d’origine yougoslave, débarquée à Montréal il y a un an, les lance en riant, pour bien montrer que ce récit personnel l’a libérée, mais qu’elle ne l’impose surtout pas à ses destinataires.

C’est que Lettres à mes fils qui ne verront jamais la Yougoslavie est le fruit d’un éveil. «La guerre ne m’a pas touchée dans mes couches visibles, explique consciencieusement Apostolska, mais dans des zones insoupçonnées. Ça a réveillé des images et des souvenirs enfouis, que je croyais morts… Mais malgré ma culture et ma langue françaises, malgré que je les aie adoptées à l’âge de cinq ans, moment où j’ai quitté mon pays d’origine, ma nature était là, présente. Et, pour tout dire, j’ai eu beaucoup de mal à accepter ma propre étrangeté.»

Avec ce nom difficile à prononcer pour les Français, qui vous démasque sans que vous le vouliez, il fallait affronter cette différence. Puis, l’une des étapes de cette démarche a consisté pour elle à montrer une Yougoslavie vivante, qui a voulu très fort d’une vie commune, liant les différences, comme l’auteure l’écrit dans ses Lettres. «Avant de succomber à la bestialité humaine dont aucun de nous ne peut se croire à l’abri, avant d’être des squelettes atroces qui hantent les pages des magazines et des écrans de télé, les Yougoslaves ont existé. Ils ont eu une vie. Ils habitaient des régions qui comptent parmi les plus belles d’Europe. Ils ont défendu leurs convictions, fortes et audacieuses. Du respect de la différence, ils ont fait une institution même si, indécrottables optimistes, ils ont failli à leur propre idéal.»

Jeter un pont
Aline Apostolska , née en Macédoine en 1961, a toujours voulu garder contact avec ce pays, mais surtout avec ses littératures croate, serbe, macédonienne dont elle parle également les langues. Elle a aussi voulu conserver un lien avec sa grand-mère, à qui elle dédie de très belles pages dans le récit. Cette grand-mère qui l’a élevée pendant les cinq premières années de sa vie, et qu’elle a quittée, parce que son père, rebelle de la famille (qui a été au pouvoir dans diverses instances institutionnelles en Yougoslavie), a voulu quitter le pays. «Il avait vu ce qui se préparait, confie Apostolska. Et il était en désaccord avec les idées du pouvoir en place à ce moment-là. Et, bien sûr, il ne s’est pas trompé.»

Formée en histoire contemporaine, Apostolska fait preuve d’un souci documentaire considérable dans ce récit autobiographique, expliquant les faits, donnant dates et repères fort utiles au lecteur. Mais elle a également fait des choix significatifs, comme celui d’évoquer, dans le chapitre 10, Korcula, l’île noire de Marco Polo. «Quand j’ai décidé de parler de cet endroit, c’est parce qu’aujourd’hui, c’est la base de l’OTAN… N’est-ce pas ironique? Cette région du monde, les Balkans, est, depuis des siècles, un territoire de passage entre l’Orient et l’Occident; un point de rupture, un monstre qui peut se réveiller, comme le dit Enki Bilal dans Le Sommeil du monstre.»

Apostolska a construit son récit en découpant la Yougoslavie par villes, toutes situées au bord de rivières. Belgrade-sur-Danube, Mostar-sur-Neretva; mais on se retrouve aussi, en toute logique, avec la narratrice, à Paris-sur-Seine, et à Montréal-sur-Saint-Laurent. «Il y a toujours des rivières dans mes livres… je ne sais pas pourquoi; et mes deux prochains romans qui sont à paraître bientôt en parleront aussi.» Peut-être parce que pour les traverser, on y bâtit des ponts, symbole et élément prédominant dans ses Lettres. «Mostar, most-star, stari most – Vieux-Pont. Mostar, la ville qui portait le nom de son pont. La ville dont le nom fut un pont. Ces batailles centenaires entre musulmans et catholiques finirent par avoir raison du pont qui avait été construit pour les unir. Les architectes turcs qui accrochaient des lunes par-dessus les ondes méprisèrent-ils le fait que leurs sabres aussi avaient la même forme que leurs ponts?»

«Pour moi, l’accueil de ce livre est tout à fait miraculeux, confie Apostolska. Il était sorti en édition quasi confidentielle en France, je ne croyais pas que ça irait plus loin.» À son étonnement, un éditeur québécois mit la main sur ce petit livre qui allait bien plus loin que la confession autobiographique. Lettres à mes fils qui ne verront jamais la Yougoslavie nous fait voir un pays que l’on croyait noir et blanc, et surtout gris, tout en couleurs. Avec ses marchés, ses parfums, ses rires, ses soirées pleines de musique et de soupers de famille; bref, un pays avec du vrai monde. C’est certainement l’un des grands mérites du récit d’Apostolska: évoquer un endroit que l’on connaît bien mal, si l’on ne connaît de lui que ses guerres.

Lettres à mes fils qui ne verront jamais la Yougoslavie
Éd. Leméac, coll. «Présent», 2000, 126 p.


Les Grandes Aventurières
Aline Apostolska publie également un recueil tiré d’une série de chroniques au titre éponyme, qu’elle livrait à la radio de Radio-Canada, l’an dernier, pendant l’émission Entre ciel et terre. Ces vingt-deux courts récits (l’auteure a retravaillé les textes des chroniques) racontent l’histoire exceptionnelle de femmes qui ont parcouru le monde au cours des siècles passés. Certaines sont peu connues, comme Isabelle Eberhardt, quittant la Suisse pour l’Algérie, afin de s’initier d’abord à la vie, mais aussi au soufisme, et qui écrivait dans un pays déjà en ébullition; d’autres sont célèbres, comme Alexandra David-Néel, qui partit de France pour gagner Llhassa, au Tibet (pays qu’elle fit découvrir à l’Occident, puisqu’elle était la première Européenne à y entrer), puis en Extrême-Orient, et publia une autobiographie (Voyage d’une Parisienne à Llhassa). Et puis encore Dora Maar, Hildegarde, Irène de Byzance, Louise Michel, Catherine de Sienne, Marguerite d’Youville figurent également parmi ces femmes courageuses, hors norme et inspirantes. Toujours également ce souci chez l’auteure de remettre les choses en contexte, dans le temps et l’espace. Éd. Stanké, 2000, 248 p.