Christian Oster : Mon grand appartement
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Christian Oster : Mon grand appartement

Mon grand appartement est un roman particulier, étrange, réjouissant, délirant, comique comme Tati, absurde comme Beckett, vertigineux, angoissé dans sa peur du vide et courageux dans sa conquête du gouffre.

On sait peu de choses de ce Christian Oster, l’un des écrivains les plus originaux des nouvelles générations. Sinon qu’il vient de franchir le cap de la cinquantaine, qu’il s’agit de son septième roman publié chez Minuit au cours des dix dernières années, et qu’il avait préalablement commis trois polars chez Fleuve Noir, ainsi que de la littérature jeunesse. Mais ce qu’on sait, après avoir refermé son plus récent bouquin, c’est qu’on veut désespérément se taper ses précédents. Parce que le lieu commun de «-plaisir de lecture-» prend ici tout son sens. L’humour est au service de l’intelligence; et la simplicité, la singularité de l’écriture sont allergiques à l’arrogance et au snobisme.

Contrairement à ce que pourrait laisser entrevoir le titre du roman, il ne s’agit pas d’un éloge du design d’intérieur postmoderne, ni d’un traité de rénovation résidentielle en milieu urbain. Mon grand appartement, c’est celui de Gavarine, le narrateur, appartement qu’on ne visitera jamais. Parce qu’il a perdu sa précieuse serviette où se trouvent ses clés. Et parce que sa copine en est absente au moment précis où il aurait bien voulu revenir chez lui. Ce qui s’annonce donc, au départ, comme la célébration romanesque de la banalité (les mésaventures d’un héros qui se cogne le nez à la porte de chez lui) se met ensuite à déraper allègrement.

Bien sûr, c’est même évident, sa blonde n’y est pas parce qu’elle s’est poussée et l’a laissé tomber. Surtout qu’en interrogeant son répondeur, il n’y trouvera qu’un message d’une ancienne flamme, lui donnant rendez-vous à la piscine. Où il se rendra, pour y faire la rencontre d’une inconnue, Flore, jeune femme enceinte qu’il suivra, plutôt que d’y retrouver celle qui l’y avait convié.

Alors, on s’accroche à Gavarine sur les rails de ce hasard qui fait si bien (si mal?) les choses. D’abord dans le train qui le conduit en province où Flore ira accoucher près de sa famille. Puis à l’hôpital, où il jouera au (faux) père, assistant à l’accouchement et coupant le cordon ombilical. Jusqu’à ce site touristique de la France profonde, géré par son présumé nouveau beau-frère, où il deviendra même guide, commentant la visite d’un gouffre!

Tout cela vous semble ridicule? N’est-ce là que la célébration de la banalité qu’annonçait la perte originelle des clés du grand appartement? Peut-être ne s’agit-il, comme les fouilles dans les tropismes d’une Nathalie Sarraute, que d’une pétarade de micro-émotions entrant en collision dans le coeur, le corps et l’âme d’un personnage vulnérable, bonasse, à sa façon emblématique de notre fin de siècle ?

Sûrement tout ça, mais en plus, un roman particulier, étrange, réjouissant, délirant, comique comme Tati, absurde comme Beckett, vertigineux, angoissé dans sa peur du vide et courageux dans sa conquête du gouffre. Ça donne le goût de provoquer le destin et de vouloir, viscéralement, perdre ses clés! Éd. de Minuit, 1999-, 254 p.