Claude Duneton : La Mort du français
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Claude Duneton : La Mort du français

Tous les livres de Claude Duneton sont de purs plaisirs de lecture. Parce que le bonhomme écrit dans une langue toute de verve et de vivacité.

Tous les livres de Claude Duneton sont de purs plaisirs de lecture. Parce que le bonhomme écrit dans une langue toute de verve et de vivacité. Et parce que le style y sert des propos d’une fameuse intelligence.
Avec La Mort du français, Duneton se fait prophète de malheur. Et il parvient à nous convaincre qu’on l’aura bien mérité.
La langue française, nous dit Duneton, «est une plante en pot». Bichonnée dans les serres chaudes des académies, bouturée de savantes locutions grecques et latines, elle a besoin pour survivre d’être arrosée de torrents de littérature. Le français n’est vraiment chez lui que dans les livres. Pour nous, le dictionnaire est le premier et l’ultime garant de l’authenticité lexicale.
Duneton démontre que les Français n’ont pratiquement jamais parlé le français. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ils avaient pour langues maternelles le picard, le normand, le provençal, le lorrain, le gascon, des patois par dizaines. Et de prédire que c’est parce qu’elle persiste à rester sourde à la richesse de ses parlers régionaux et populaires que la langue française va rapidement s’étioler.
Duneton vaut d’être cité longuement: «Un exemple pour ne pas rester dans l’abstrait: au Québec, on dit "barrer la porte", pour la fermer à clef; ça fait bizarre pour des Français. Et pourtant… Durant toute mon enfance nous avons barré les portes, nous aussi, au village, de l’occitan barrar, fermer. Ailleurs aussi – le hasard m’a fait passer sans transition de Montréal, où l’on me dit: "Il faut barrer la voiture", à Saint-Jans-Cappel dans les Flandres, où la gouvernante de la villa Mont-Noir, Madame Claudine, ne connaît qu’une consigne: "N’oublie pas de barrer ta porte, le soir"… J’ai l’impression que toute la France des racines utilise le verbe barrer – mais à cause de sa connotation très justement "populaire" le mot fait tache, il rend un son inadmissible, toute la gentry le dédaigne – nous bavons sur notre propre chemise! C’est là notre faiblesse – et ce n’est plus un talon d’Achille,c’est la jambe et la cuisse et les deux fesses que nous exposons aux coups de pied au cul! J’entends de plus en plus souvent, à Paris, cette formulation "fraîche" comme l’eau de mer: "Tu as locké ta bagnole?"…»
Duneton conclut que ce n’est pas à coups de «Dites…, ne dites pas…» qu’on peut soigner le moribond. Il faudrait plutôt l’ouvrir à toutes les manières différentes de dire les choses en français: prendre le risque de transplanter cette fleur en pot dans le riche terreau des parlers populaires qui ont trop longtemps été considérés comme de la mauvaise herbe.
Avec La Mort du français, Claude Duneton nous invite à arrêter de pleurer les préciosités perdues du subjonctif, et à nous rendre compte que la beauté du français n’est pas dans le ronron des alexandrins de Racine, mais dans la verve d’un Rabelais.

Éd. Plon, 1999, 149 p.