François Gravel : Fillion et Frères
Livres

François Gravel : Fillion et Frères

Avec Fillion et Frères, dernier roman «adulte» de François Gravel, ses fidèles seront comblés. Il y a dans ce roman qui rend hommage à la figure du père tout ce qui fait le charme de ses livres, toutes catégories confondues.

Auteur de romans pour la jeunesse (Klonk, Corneilles, Guillaume) adoré par ses lecteurs, et de «romans-romans» (Les Black Stones vous reviendront dans quelques instants, Ostende, Bonheur fou), où fleure toujours un parfum de nostalgie piqué de tendresse et d’ironie, François Gravel poursuit discrètement une oeuvre hors des courants mais qui a ses très fidèles adeptes.

Avec Fillion et Frères, dernier roman «adulte» de l’auteur de Benito, ses fidèles seront comblés. Car il y a dans ce roman qui rend hommage à la figure du père tout ce qui fait le charme de ses livres, toutes catégories confondues. Un condensé des qualités de Gravel. Son éternel sourire en coin, son humour mordant, son art de décrire les travers humains, son évidente – et contagieuse – tendresse pour des personnages imparfaits mais éminemment humains et ô combien attachants.

Tout ce qui fait le succès de ses livres pour enfants, qu’il sait tellement émouvoir et faire rire, et qu’il met à la disposition d’une histoire pour grands, cette fois: celle d’un homme qui retourne dans ses souvenirs, et qui grimpe dans l’arbre généalogique pour faire revivre son père.

Ce père, c’est Louis Fillion, un homme qui adorait les livres, mais qui a passé sa vie à travailler dans le commerce du meuble. Un vendeur dans l’âme, descendant direct d’une lignée d’hommes aussi travaillants que peu bavards, qui ont traversé la première moitié du siècle avec, comme seul but dans la vie, celui de travailler pour gagner le pain quotidien, et qui ont trébuché dans les années soixante, leur rôle étant soudain devenu désuet.

Un père comme des millions de pères québécois, moins absents que silencieux, mariés à des femmes autoritaires, exigeantes, qui parlaient, elles, pour deux. «Je ne sais plus ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans cette histoire, commence le narrateur de Fillion et Frères, mais je sais que je parle toujours de lui, quelle qu’en soit la manière. Et de moi, bien sûr, mais autrement.»

Mon père, ce héros

Fillion et Frères débute dans les années trente, au temps de la Crise, qui a réduit le père de Louis, Étienne Fillion, au chômage. «Il n’est plus qu’un fantôme qui marche dans les rues du matin au soir, imagine le narrateur, se fatiguant bien plus à chercher du travail qu’il ne l’aurait fait en travaillant pour vrai.» La famille, qui habite le quartier Hochelaga, en
arrache. Annette, la femme d’Étienne, passe ses journées à soupirer bruyamment. Les enfants font leur possible, mais ce n’est jamais assez pour boucler les fins de mois. Alors les quatre fils Fillion: Léo, Louis, Philippe et Édouard, décident de prendre la relève. De lancer une toute petite entreprise de bois de chauffage, première mouture de Fillion et
Frères, qui finira par devenir, quelques années plus tard, après certaines transformations, un florissant commerce de meubles sis rue Saint-Hubert.
Tout le charme de ce roman de François Gravel tient dans la narration, cette voix off discrète, ce regard attentif, attendri, que Benoît, le narrateur, pose sur son père et ceux qui l’ont entouré. Mais aussi sur les milieux où ils ont évolué, les époques qui ont vu les valeurs se transformer. Et le ton est si juste, les personnages, si vraisemblables, les portraits d’époque, si crédibles, que l’on se prend à y croire, comme si tout cela était authentique. C’est que François Gravel excelle à mélanger le vrai et le faux. Il a toujours dit qu’il aimait le mensonge. Que les vérités, dans ses romans, servaient à rendre le mensonge plus vrai. On lui demanderait qu’il nous jurerait, comme toujours, que rien de toute cette histoire n’est
autobiographique. Après tout, Gravel n’est pas, comme le narrateur de Fillion et Frères, professeur d’administration à l’université. Il enseigne l’économie au cégep. Mais s’il n’a pas eu un père propriétaire-fondateur d’un magasin de meubles qui avait pignon sur rue au coeur de Montréal, il a tout de même eu un père, quel que fût son métier. Et à moins d’être un sacré bon menteur, il a dû beaucoup, beauoup l’aimer.

Fillion et Frères
de François Gravel
Éd. Québec/Amérique, 2000, 240 p.