Joël Champetier : L'Aile du papillon
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Joël Champetier : L’Aile du papillon

Joël Champetier a vingt ans de métier, et publie autant pour les jeunes que pour les adultes. Ouvrant dans la science-fiction, la fantasy et le policier, l’écrivain préfère mélanger les genres, plutôt que de respecter des frontières imaginaires. Comme dans L’Aile du papillon, un roman où enquête et folie font très bon ménage.

De l’avis même de Joël Champetier, auteur de science-fiction, touchant à l’occasion la fantasy et le fantastique, L’Aile du papillon est son roman le plus bizarre. En effet, ce qui devait être au départ un polar est devenu, au fil de l’écriture, un roman policier aux forts éléments de fantastique, le tout souligné à grands traits d’humour et d’ironie. «En fait, confie Champetier, j’ai choisi des personnages hauts en couleur car un institut psychiatrique, le lieu où je situe l’histoire, peut s’avérer déprimant.» Cette idée d’un détective privé infiltrant un hôpital psychiatrique lui a été inspirée il y a une vingtaine d’années, alors qu’il rencontrait un privé ayant vécu ce genre d’histoire.

Tous genres unis
Ainsi, L’Aile du papillon propulse le lecteur dans un milieu fermé qui permet toutes sortes de dérives, parce que les patients ne sont pas «normaux», situation offrant à l’écrivain un fort potentiel romanesque. «L’Aile du papillon est un roman: mais on peut se demander où se situe la frontière entre le normal et l’anormal. Car mes patients en psychiatrie ne sont pas si fous que ça, même si leur vision de la réalité n’est pas normale. Tandis que le psychiatre, lui, est plutôt étrange. En fait, tous les psychiatres le sont!…»
Pour explorer cette frontière, Champetier a bâti une histoire qui gravite autour du monde fantasmatique de Kevin, jeune autiste interné au Centre hospitalier Saint-Pacôme, situé à Shawinigan. Lorsque le directeur de l’institut spécialisé dans les cas psychiatriques lourds engage le détective Michel Ferron pour enquêter sur un trafic de médicaments à l’intérieur des murs, une porte s’ouvre vers le monde fantasmatique de Kevin: un univers imaginaire composé par les Amis de la forêt, un groupe recruté par l’Ambassadeur du royaume d’argent afin de combattre les nazis et les barbies, responsables d’un trafic de seringues, toutes des histoires inventées par le jeune autiste. «Le personnage de Ferron est le catalyseur. Dès son arrivée à l’hôpital, une espèce de télépahie s’installe et influence tout le monde, autant les patients que les employés.» Pour l’auteur, il est évident que le monde de Kevin est responsable des événements qui mèneront à la découverte du trafiquant; mais, bien sûr, une seconde lecture des événements est possible. «Beaucoup de mes lecteurs en sont venus à la conclusion que les médicaments distribués aux patients … sont la source de l’existence des Amis de la forêt, provoquant des hallucinations et des rêves.»
Si le mélange des genres littéraires n’est pas intentionnel chez l’auteur, il lui permet néanmoins de rejoindre un plus large public. «J’aimerais écrire des classiques du genre sauf que, pour faire du nouveau, ou pour ne pas refaire ce qui l’a été, on va dans d’autres directions. Dans La Peau blanche (Éd. Alire, 1997), le mélange des genres était flagrant. Dans L’Aile du papillon, c’est venu de façon plus naturelle. Je m’intéresse à différents styles et, à mon avis, le métissage permet d’aller chercher les forces de chacun d’eux: le polar, c’est la mécanique, le dosage de l’information; le fantastique, c’est la déstabilisation et la science-fiction, c’est l’invention. Je me dis qu’il y a moyen de prendre le meilleur de chacun de ces genres et de les réunir pour intéresser les gens qui lisent tous ces genres-là.»

Histoire de jouer
Selon Champetier, l’utilisation du fantastique donne également plus de liberté créatrice à l’écrivain, qui a tout de même fait une bonne recherche pour assurer une cohésion à son roman. «J’ai parlé à deux détectives privés, à une orthopédagogue, à des médecins, et lu des livres sur les autistes. Je voulais que l’aspect "polar" du roman soit le plus serré possible mais, évidemment, quand quelque chose ne convenait pas, c’était plus facile de dire: "C’est pas grave, c’est du fantastique"!» Cela dit, le personnage de Michel Ferron colle parfaitement à la réalité. «Je voulais qu’en parallèle avec l’aspect assez délirant, le détective soit vrai. D’ailleurs, c’est amusant, il y a des lecteurs qui ont été hrrifiés par mon détective, tellement il est nul et impuissant à faire avancer sa mission. Mais les deux professionnels qui ont lu le manuscrit ont trouvé que c’était bien: un détective privé, c’est très plate!» lance Champetier en riant.
Autant Michel Ferron est un gars «gris», pour utiliser les termes de l’auteur, autant Kevin est mystérieux et fascinant. «Les autistes sont fascinés par la précision, la technique, l’histoire. Ils sont aussi très frustrés, et ils font des colères épouvantables. J’imaginais que dans son monde fantasmatique, ce serait très enfantin. Une espèce de Toy Story pour adultes, avec des pulsions d’une violence extrême désamorcées par l’aspect comique des scènes.»
Pour illustrer cet aspect, Champetier a choisi les nazis et les barbies pour incarner les créatures archétypales du roman fantastique que sont habituellement le loup-garou et le vampire. «Dans l’imaginaire contemporain, les nazis et les barbies sont un peu leurs descendants. Aujourd’hui, les premiers sont devenus des créatures aussi fantastiques et identifiables que le loup-garou. Nazis = méchants, automatiquement. Quant à la barbie, c’est la caricature de la femme contemporaine.»
Tout au long du récit, l’auteur distille l’information de manière habile, permettant aux lecteurs de reconstruire le casse-tête et tenter d’émettre des hypothèses pour résoudre l’énigme. Par-dessus tout, l’utilisation des différents genres littéraires donne du souffle à l’histoire, la rendant plus légère et permettant l’emploi d’images étonnantes; comme ce «Bonhomme au fouet» qui est en fait le père Noël, ou encore cette utilisation des «gaz» des vaches remplaçant le combustible… Des scènes parfois violentes mais tellement grotesques qu’elles font naître un sourire. Tout ça fait de L’Aile du papillon un polar fantastique plutôt rafraîchissant.
En plus de poursuivre l’adaptation cinématographique de La Peau blanche – Champetier en est à la troisième réécriture du scénario -, l’auteur, également codirecteur de la revue Solaris, a commencé unroman jeunesse et un autre de fantasy pour adultes. Sans oublier que La Mémoire du lac (Éd. Québec/Amérique, coll. Sextant 3, 1994) sortira chez l’éditeur américain Tor Books qui a déjà publié La Taupe et le Dragon en 1998. Des histoires à suivre!
L’Aile du papillon
Éd. Alire, 1999, 384 p.