Robert Harnum : La Dernière Sentinelle
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Robert Harnum : La Dernière Sentinelle

Robert Harnum, romancier et professeur de français aux États-Unis, publie un livre-choc sur la violence des jeunes. La Dernière Sentinelle aborde avec subtilité des thèmes controversés parmi lesquels l’usage des armes à feu, l’angélisme de la société américaine, la peine de mort.

Comment Philip, un jeune Américain doué, apprécié de tous, peut-il en arriver à ouvrir le feu sur une dizaine de personnes dans les corridors de son école? Cette question brûlante d’actualité, Robert Harnum la pose avec une acuité nouvelle dans La Dernière Sentinelle, un roman qui a déjà ému la France, mais qui, curieusement, n’a pas encore trouvé d’éditeur aux États-Unis. Trop explosif?
L’auteur, dont on connaît la plume efficace (Le Festin des lions, 1998), s’est glissé dans la peau de Philip, dix-sept ans. Étudiant modèle, joueur étoile de son équipe de basket, Philip a tout ce qu’il faut pour être heureux: popularité croissante, petite amie ravissante, Playstation dernier modèle, et patata. Sauf que.
Écrit au je, dans un style dépouillé, le roman nous guide à l’intérieur de sa conscience. Conscience malade, en dépit des apparences. Au fil de ses pensées, on découvre un Philip narcissique, qui ne ressent à peu près rien devant la souffrance d’autrui. En fait, il n’a d’intérêt que pour le ballon rond, le jeu vidéo DOOM II (il aime bien se frayer un chemin dans la foule avec une tronçonneuse) et les armes à feu, auxquelles il est initié par son oncle Tommy.
Un garçon méchant, Philip? Mais pas le moins du monde! répondraient ses proches. Reste que la première partie du livre se clôt par une tuerie que personne n’avait vue venir. Pas même le tueur; et toute la tragédie est là.
Vient ensuite le procès de Philip, qui sera défendu par Jack, un ami de son beau-père. Avocat expérimenté, Jack exploitera tous les éléments pouvant atténuer les charges retenues contre Philip, à commencer par une situation familiale éclatée. Mais malgré le dévouement de son avocat, le jeune homme reste impénétrable, vivant le procès en spectateur, comme si toute cette histoire était celle d’un autre: «Je n’aimais pas ça, je n’aimais pas ce que je ressentais, je veux dire, j’étais glacé à l’intérieur, comme si je m’en fichais.»
Ce procès est l’occasion pour Harnum de soulever des questions fort délicates ans l’opinion américaine: celle de la peine de mort, celle de la vente libre des armes à feu, celle aussi de la responsabilité sociale dans une telle affaire, dans un pays dont la constitution stipule que tout citoyen peut posséder son arme à feu. Un pays où un ado a tout lieu de considérer la violence comme normale.
Véritable débat de société, le procès prend une envergure nationale quand la cour en permet la télédiffusion. L’issue paraît incertaine, le jury hésitant plusieurs jours entre la peine capitale et une peine plus légère. D’un côté, il y a des victimes innocentes, certes; mais de l’autre, un garçon plus troublé qu’il n’en a l’air, à qui on a permis de s’amuser avec des fusils.
Sans prétendre expliquer, sans jamais jouer les moralistes, Robert Harnum nous fait vivre le drame, pas à pas. Mieux, il nous rapproche intimement du tueur, qui nous rappelle des ados que nous connaissons – que nous avons été peut-être -, chez qui la moindre étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres.

La Dernière Sentinelle
de Robert Harnum
Éd. du Masque,1999, 312 pages