Langagement – Lise Gauvin : Délier la langue
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Langagement – Lise Gauvin : Délier la langue

Langagement est une solide et sérieuse étude sur la relation que les écrivains québécois entretiennent avec la langue française. Lise Gauvin y explore les diverses manifestations de ce qu’elle appelle la «surconscience linguistique».

Encore un livre sur la question linguistique? Non: enfin un ouvrage qui nous change du lot d’âneries qu’on a pu écrire sur le sujet.
Langagement est une solide et sérieuse étude sur la relation que les écrivains québécois entretiennent avec la langue française. Lise Gauvin y explore les diverses manifestations de ce qu’elle appelle la «surconscience linguistique».
Au Québec, il est impossible d’écrire la moindre ligne sans s’interroger sur la valeur des tournures qu’on emploie. Un bon nombre des mots qui nous viennent immédiatement à l’esprit ne se retrouvent pas dans nos dictionnaires. Nous ne pouvons pas nous contenter d’écrire en français; nous devons sans cesse déterminer le niveau de langue dans lequel nous allons écrire. Pour nous, comme pour la plupart des écrivains issus des anciennes colonies de la France, le choix des mots implique un ensemble de choix sociaux, culturels et politiques: le langage dans lequel nous nous exprimons est à chaque fois l’expression d’un «langagement».
Depuis ses débuts, la littérature québécoise n’a cessé de chercher des moyens de s’approprier la langue française. Déjà au XIXe siècle, Octave Crémazie constatait que «Ce qui manque au Canada, c’est d’avoir une langue à lui. Si nous parlions iroquois ou huron, notre littérature vivrait.» Langagement retrace l’histoire des choix linguistiques qu’ont faits les écrivains québécois, et analyse les raisons de leurs choix. Ainsi l’ouvrage nous permet de faire le point sur les divers moyens pris par les écrivains du XXe siècle pour inscrire nos différences culturelles au sein même de la langue française.
Le grand intérêt du travail de Lise Gauvin tient au fait qu’il ne tourne pas, comme tant d’autres, autour de la seule question du joual. On y discute entre autres choses des apports des écritures féminines et féministes; il faut se souvenir qu’au théâtre, le scandale des Belles-Soeurs, de Michel Tremblay, n’a eu d’égal que celui des Fées ont soif, de Denise Boucher. Les derniers chaptres de l’ouvrage traitent des oeuvres des écrivains immigrants, pour qui le français est une langue seconde, ce qui est loin d’en faire pour autant des auteurs de deuxième ordre. Qu’importe si le français est une langue d’emprunt, du moment qu’on n’écrit pas dans une langue… empruntée.
La lecture de Langagement nous fait réaliser combien Gaston Miron pouvait avoir raison lorsqu’il écrivait que «L’alternative juste est la suivante: faut-il dire horse ou tous les autres: cheval, joual, ouéoual, etc., sinon à longue échéance, on risque de dire ni l’un ni l’autre. Qu’on dise un arbe, un âbe, arble, tant qu’on ne dit pas tree, on parle québécois.» Les écrivains québécois sont condamnés à dire les choses autrement que le font les Français de France; Langagement nous fait comprendre que c’est là notre chance de pouvoir dire autre chose.

Langagement
L’écrivain et la langue au Québec
de Lise Gauvin
Éd. du Boréal, 2000, 257 p.