L'Autruche céleste – Iléana Doclin : La lettre et l'esprit
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L’Autruche céleste – Iléana Doclin : La lettre et l’esprit

C’est un mélange d’ordinaire et de remarquable, d’édifiante leçon de vie et de comédie humaine, qu’on retrouve dans les délicieuses épîtres d’Iléana Doclin. Moitié noble, moitié roturière, d’ascendance roumaine et québécoise, la signataire de L’Autruche céleste y révèle une personnalité forte et attachante, ainsi qu’un indéniable don de  conteuse.

À notre époque de reality shows, le «vécu» est roi. Même en littérature, rien n’est aussi alléchant qu’une «vraie vie» livrée en pâture aux lecteurs. Surtout quand la vie se déguise, comme elle sait si bien le faire, sous des habits tragi-comiques que ne renierait pas la fiction. Rien n’est plus romanesque, pour peu qu’on sache bien la regarder.
C’est un peu ce mélange d’ordinaire et de remarquable, d’édifiante leçon de vie et de comédie humaine, qu’on retrouve dans les délicieuses épîtres d’Iléana Doclin. Moitié noble, moitié roturière, d’ascendance roumaine et québécoise, la signataire de L’Autruche céleste y révèle une personnalité forte et attachante, un regard original et décapant, ainsi qu’un indéniable don de conteuse.
L’Autruche céleste rassemble les lettres que, pendant deux ans, cette recherchiste télévisuelle, rédactrice en chef des Copines d’abord, a échangées par télécopieur (les nouvelles technologies remettraient-elles en vogue la correspondance, mode de communication plutôt tombé en désuétude?…) avec une amie exilée en région, souffrant de vague à l’âme. La quadragénaire n’a elle-même pas toujours la vie facile, étant dotée de deux ados en pleine crise de mutation, d’une paire de chiennes affectueuses mais tarées, d’un duplex lourdement hypothéqué, et d’une âme slave parfois bien pesante à porter.
D’une part, vous avez là un spécimen bien contemporain, auquel les femmes d’une génération n’auront pas de mal à s’identifier: pigiste vivant dans l’angoisse entre deux contrats, mère divorcée élevant ses oisillons sans guère de support de son ex (baptisé ici Clown Célèbre), au coeur et au corps esseulés, dont la maison ressemble à une auberge espagnole, ouverte à des hordes d’ados affamés. Une moderne mère Courage qui ne dédaigne pas un peu de chanvre pour apaiser ses bleus à l’occasion, ni même un léger acte de délinquance pour dérider sa copine (le savoureux épisode du vol d’une affiche électorale d’Howard Galganov)…
Tout ça, les fluctuations du moal, les dégâts canins, les crises des ados (toujours affublés de surnoms inventifs, qui changent selon les circonstances), les déboires professionnels et financiers, Iléana Doclin le raconte avec une plume irrésistible, agile, légère, inventive, drôle, multipliant les sobriquets amusants, en forme de périphrases descriptives. Son sens aigu de la formule, son oeil vif transcendent la banalité ou la lourdeur du quotidien, dont elle sait extraire l’aspect burlesque. Comme ces funérailles qui virent au vaudeville, «à la fois triste et absurdement drôle». Phrase qui pourrait qualifier le livre, ainsi que l’existence d’«Alinéa Déclin».
Au milieu des tribulations de tous les jours, elle raconte des bribes d’une vie jusque-là plutôt grave et moins qu’ordinaire: une enfance assombrie et terrorisée par un paternel au tempérament dramatique et tyrannique, vrai comte roumain et véritable personnage de roman, ancien réalisateur à Radio-Canada «ressemblant plus à Raspoutine qu’à Papa a raison» (dont le voyage de retour dans la patrie d’Ionesco, sous forme de cendres, est aussi coloré d’absurde); le douloureux épisode de l’abandon marital, avec deux jeunes enfants et une maison à la campagne sur les bras…
L’Autruche céleste est en fait le récit d’une métamorphose: comment l’ex-«princesse neurasthénique», qui a toujours cru «être faite pour le drame», a appris à apprécier la vie et ses petits bienfaits. C’est bien connu, la vie commence à 40 ans pour une femme… Forte de cette paix intérieure toute neuve, acquise après moult épreuves, la maman remplumée se compare à l’autruche, qui met sagement sa tête dans le sable quand le besoin s’en fait sentir. «J’en suis à la deuxième partie de ma vie, dont, c’est officiel, le bonheur sera le thème. Pas la félicité impossible mais celle faite de petits bouts de vie simples.»
Si la simplicité réconfortante de cette philosophie 101, pleine de solide bon sens (regarder la vie du bon côté, faire preuve d’autodérision allègent le malheur) ne réinvente pas la roue, nou valant quelques longueurs vers la fin, la narration au jour le jour, elle, distille une bonne humeur contagieuse, découvrant une femme qu’il doit faire bon connaître.
On devrait toutes avoir une copine comme ça. Ça fait du bien à l’âme, qu’elle soit slave ou banalement québécoise.

L’Autruche céleste
d’Iléana Doclin
Éd. Flammarion Québec, 2000, 224 p.