Spécial Frisson : Hors série Exil
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Spécial Frisson : Hors série Exil

Revampé, avec un nouveau format et de nouveaux collaborateurs, présenté dans une pochette de plastique contenant de la neige artificielle qui semble propulsée par le tracteur de la couverture illustrée par Simon Dupuis, le «Spécial Frisson», numéro hors série d’Exil, est l’une des plus belles surprises de la rentrée en bande dessinée.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il nous rentre dedans. Revampé, avec un nouveau format et de nouveaux collaborateurs, présenté dans une pochette de plastique contenant de la neige artificielle qui semble propulsée par le tracteur de la couverture illustrée par Simon Dupuis, le «Spécial Frisson», numéro hors série d’Exil, est l’une des plus belles surprises de la rentrée en bande dessinée.
Plus d’un an s’est déjà écoulé depuis la dernière parution de cette revue dirigée par Dominique Desbiens, qui l’a cofondée en 1993. Mais si on s’étonne peu des sorties irrégulières en ce pays et dans un domaine où les créateurs sont loin d’occuper l’avant-scène culturelle, il reste que l’arrivée d’un collectif de qualité procure d’autant plus de plaisir qu’il se présente sans s’être (trop) annoncé.
Il faut dire que, dans ce genre de publication, le défi à relever est de taille. Car pour susciter le plaisir et l’étonnement, une bonne revue de bandes dessinées doit offrir une certaine diversité dans les genres et les styles qu’elle propose, tout en présentant un minimum d’unité. En cela, Exil, qui a bien su tirer parti de tout un bassin de talents locaux, remporte la palme. Autant se dégagent certains traits communs à plusieurs de ses auteurs, tels que l’univers fantastique de la nuit, la thématique de l’urbanité, celle de l’enfance confrontée au monde et l’accent mis sur des situations oniriques, autant chaque oeuvre présente des caractéristiques éminemment personnelles et originales.
En ce sens, il y a un monde entre le cyclope narcissique et indigné de Marc Simard qui raconte, en ouverture du collectif, avec force détails sa visite chez l’optométriste; et Antoine, un joli conte nocturne d’Annie Pilloy illustré par VoRo. Un monde entre le mystérieux Retour à la case départ de Michel Lacombe, la fantaisie sans paroles et labyrinthique comme un songe de Leou, et le très poétique Lacrymosa de Robert Rivard, superbement réaliséà la plume et à l’encre de Chine. Quant à Simon Dupuis, il s’éclate dans cette fable déchaînée d’un parcomètre poursuivi par le fisc, lequel est représenté par une meute de bornes d’incendie; tandis que Bruno Rouyère, avec ses Aventures de Clint Solo, nous fait pénétrer dans ses fantasmes de l’enfance (et de l’âge adulte), où réalité et fiction s’entremêlent au fil d’un western transposé dans un réel auquel veut échapper le narrateur.
Dans l’ensemble, comme le suggère Simon Dupuis dans son éditorial, Exil est une véritable invitation à un «voyage au coeur du sommeil paradoxal des auteurs».
On trouvera également, en prépublication, le premier chapitre de L’Aube noire de Nicolas Lemay, ainsi que le premier épisode de Théogonie: la naissance des dieux. Cette oeuvre scénarisée par Gilles Laporte (cocréateur de Rupert K.) et peinte par Dominique Desbiens, qui paraîtra au printemps chez Mille-Îles, est sans conteste la pièce maîtresse de l’ensemble. Le thème du rêve (réel ou éveillé), commun à presque toutes les histoires proposées dans la revue, y trouve son aboutissement dans cette intrigue cauchemardesque où un petit garçon privé de rêves sert de cobaye à un puissant organisme de recherche en biocybernétique. Le pinceau de Desbiens, pour qui la bande dessinée est véritablement un art, nous enchante par son génie à créer un univers unique. Éditions Amérisque, 2000, 64 p.