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Thomas Harris : Hannibal

Pas de surprise: la suite du Silence des agneaux est un immense succès commercial à la grandeur de la planète. Malgré certaines récriminations formulées par des lecteurs dévots lors de la publication d’Hannibal aux États-Unis l’été dernier, la voix du maître, Stephen King lui-même, a crié au génie de son compétiteur.

Pas de surprise: la suite du Silence des agneaux est un immense succès commercial à la grandeur de la planète. Malgré certaines récriminations formulées par des lecteurs dévots lors de la publication d’Hannibal aux États-Unis l’été dernier (qui se plaignaient du manque d’action), la voix du maître, Stephen King lui-même, dans rien de moins que le New York Times Book Review, a crié au génie de son compétiteur.
Avant même la publication du roman, Hollywood avait parié le montant record de dix millions de dollars US pour acquérir les droits, avant d’être ébranlé par le refus de Jodie Foster de reprendre son rôle (elle n’aimait pas la finale, et c’est vrai qu’elle est imprévisible, surtout pour son personnage d’agent du FBI, Clarice Sterling) et par la démission du réalisateur Jonathan Demme (il trouvait le roman trop violent). Mais, cinéphiles, n’ayez crainte, Anthony Hopkins reprendra du service dans la peau du monstre. Sauf que, avant même le premier tour de manivelle, on peut déjà annoncer sans se tromper que le livre est meilleur que ne le sera le film. Je m’explique.
Contrairement à ses confrères écrivains qui pondent absolument un bouquin à chaque rentrée, Thomas Harris se laisse désirer. Il aura mis dix ans avant de livrer Hannibal. Plutôt que de nous noyer dans une débâcle gratuitement sanglante, l’écrivain originaire du Mississippi a décidé de s’aventurer encore plus profondément dans la complexité de ses personnages. Sept ans après l’évasion du psychiatre cannibale, une de ses premières victimes, qui avait péniblement survécu à ses blessures, le richissime magnat de la viande de boucherie Mason Verger, prisonnier d’un poumon métallique et cloué à son lit, met tout en oeuvre pour se venger de son agresseur, corrompant même un haut fonctionnaire du département de la Justice qui a des ambitions politiques.
Verger est un pervers qui va même jusqu’à faire pleurer les enfants pour qu’on assaisonne ses martinis de leurs larmes. Retrouvant la trace d’Hannibal à Florence, où le psychopathe érudit dirige une bibliothèque consacrée à l’Enfer de Dante et à l’Italie médiévale, il ordonne qu’on capture son ennemi. Qui, bien sûr, sent venir le vent, et, de surcroît, cultive un amour absolu pour la belle agente du FBI qui l’avait cuisiné lors de sa précédente incarcération.
Malgré les scènes d’éviscération et autres démonstrations vomitives, en dépit de la classification «-horreur-», Hannibal est un plaidoyer en faveur de l’amour, de l’intelligence, de la culture, de la différence. Au désespoir d’une partie de l’ancien lectorat de Thomas Harris. On imagine que l’auteur aimerait bien se voir consacré par l’institution littéraire. Sauf qu’il peut bien se consoler: les intellos ne savent pas ce qu’ils manquent.
Éd. Albin Michel 2000, 494 p.