Éric Braün : 106 U Numéro 6
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Éric Braün : 106 U Numéro 6

Malgré son appellation, le milieu dit underground de la bande dessinée donne naissance à des publications qui tendent de plus en plus vers l’universel. À preuve, l’évolution de ce fanzine hardcore qu’est 106 U, édité depuis 1993 par Éric Braün.

Malgré son appellation, le milieu dit underground de la bande dessinée donne naissance à des publications qui tendent de plus en plus vers l’universel. À preuve, l’évolution de ce fanzine hardcore qu’est 106 U, édité depuis 1993 par Éric Braün, qui, d’oeuvre solo qu’il était à ses débuts, s’est ouvert à d’autres illustrateurs montréalais et fait appel dans sa plus récente parution à des créateurs étrangers. Le résultat? Un livre aux tendances multiples, multilingue, ouvert sur le monde.

L’aspect de cette revue est en général tout, sauf convenu. Certains numéros de 106 U (lire sans issue), avec leur couverture en acier (numéro 3) ou en simili-fourrure (numéro 5) sont les futurs artéfacts de notre culture urbaine. La sixième livraison, qui vient de paraître, offre quant à elle un large panorama de l’illustration contemporaine, Braün ayant su s’entourer d’une équipe plus importante que jamais de collaborateurs. Parmi eux figurent des artistes d’expérience tels Siris, Rick Trembles, Jean-Benoît Pouliot, Richard Suicide, Alexandre Lafleur, Éric Thériault.

Il faut saluer les contributions de nombreux créateurs étrangers (français, hollandais, espagnols, allemands), dont celle du Suisse Thomas Ott, lequel imagine le cauchemar d’un raciste qui rêve de lynchage et qui en perd ses doigts au réveil. Quant au Français Killofer, auteur de l’album Billet SVP, paru à L’Association, et présentant de courtes histoires sur le contrôle des billets de train, il brode ici sur le thème de celui qui cède sa place à plus fragile que soi, créant une séquence des plus loufoques.
106 U, c’est aussi le terreau grâce auquel Éric Braün lui-même cultive une oeuvre provocante, aux multiples facettes. L’illustrateur de 30 ans est passé maître dans l’art difficile du «strip», séquence minimaliste et à tendance géométrique de trois ou six cases chacune, où il dépeint les vices de la civilisation moderne, qu’ils soient policiers, politiques, militaires, économiques ou sexuels. Le tout sans aucune parole, au «langage» néanmoins cru, mettant en scène quelques personnages archétypaux avec lesquels les lecteurs de son Stripbook aimeront renouer. Braün ouvre également la revue sur le deuxième chapitre d’un album qui comptera 48 planches, Ozenism gerwaje mutatio («L’eugénisme qui guerroie la mutation»), mettant en scène une utopie totalitaire et cauchemardesque dirigée par une caste de prêtres-policiers-eugénistes-clones, menacée par une secte de mutants qui cherche à renverser le régime. Plus exploratoire et moins contraignante que le «strip», cette oeuvre propose davantage un travail sur les perspectives, l’anatomie et l’architecture. On y retrouvera le style unique, tour à tour sombre, ludique et déconcertant de son auteur.
Éd. par Éric Braün, 2000, 80 p.