Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde : Liaisons dangereuses
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Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde : Liaisons dangereuses

L’historien Gérard Bouchard publie un essai passionnant: Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde. En comparant l’histoire du Québec à celle des autres pays d’Amérique, il aide à mieux comprendre ce qu’a été notre  passé.

Avec Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde, Gérard Bouchard publie un livre qui devrait faire date. L’ouvrage propose une nouvelle façon de concevoir l’histoire du Québec.
L’école véhicule depuis longtemps un grand nombre d’idées reçues sur l’histoire de notre société: du temps de la Nouvelle-France, tout aurait été pour le mieux; depuis la Conquête et l’échec de la Rébellion de 1837-1838, on n’en finirait plus de lutter vaillamment contre les méchants Anglais. Et les ténors du nationalisme étroit d’entonner leur refrain: s’il faut faire l’indépendance, c’est pour finalement mettre un terme à 240 ans de domination british! Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde fait comprendre que les choses ne sont pas aussi simples que ça.
Dans un premier temps, Gérard Bouchard définit une théorie de l’histoire des «collectivités neuves». Car il ne faut pas l’oublier: le Québec est un pays bien jeune. Et comme l’ensemble des États issus des anciennes colonies françaises, britanniques ou espagnoles, son histoire est tributaire de ses relations avec sa métropole d’origine. Bouchard démontre que les collectivités neuves entretiennent deux types de relations avec leur pays d’origine: ou bien ces nations se définissent dans une relation de différence, de rupture, par rapport à la métropole, ou bien elles établissent une relation de continuité. En d’autres mots, les colons cherchent soit à bâtir une société différente de celle qu’ils ont quittée, soit à reproduire leur ancien mode de vie au sein des nouveaux territoires qu’ils occupent.
Mais voilà que, constate Bouchard, le cas du Québec est particulier. Au début du Régime français, notre société s’inscrivait dans une relation de continuité avec la métropole. Mais vers la fin de la colonie, on commençait déjà à se considérer et, surtout, à se vouloir différents des Français. Et du lendemain de la Conquête jusqu’à la défaite de la Rébellion, notre société continuera à vouloir rompre ses relations avec les modèles européens. Buchard rappelle en passant que «la pensée patriote mettait en forme une affirmation nationale largement affranchie de références ethniques, ouverte à toutes les religions et à toutes les races, conformément à l’idée qu’on se faisait d’une société des Amériques».
Sauf que l’échec de cette insurrection nous conduira à recommencer à nous définir comme les habitants d’un petit coin de France égaré en Amérique. C’est alors que prend forme une représentation de l’identité québécoise fondée sur une relation de fidélité avec la France. D’où «l’insistance qu’on a mise jusqu’au milieu du XXe siècle à construire la nation sur l’ethnicité», sur la sauvegarde de nos racines françaises. Et voulant à tout prix rester des «Français», la plupart des membres de nos élites intellectuelles «voyaient dans l’américanité non pas le terreau d’une culture originale, mais les eaux troubles d’une contamination».

Nouvelle identité
Selon Bouchard, cette relation de continuité aurait commencé à s’effriter à la veille de la Révolution tranquille. Il suffit pourtant de tendre l’oreille aux discours de nombre de nos nationalistes pour se rendre compte qu’on en n’est pas encore tout à fait sorti!
Une bonne part de Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde est consacrée à une présentation de la constitution de l’identité des pays de l’Amérique latine, des États-Unis, de l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Parce qu’il s’avère fort intéressant de comparer les questions que nous nous posons sur notre identité à celles que se sont posées et se posent encore d’autres collectivités aussi neuves que la nôtre. Et de découvrir, par exemple, qu’on peut fort bien parler de culture sans soulever sans cesse le rapport à la langue de la métropole: «[..] la langue n’a jamais été dans les cultures nationales latino-américaines un facteur de division et d’angoisse collectives comme elle le fut et continue à l’être au Québec.»
Ne serait-ce que par cette esquisse d’histoire comparée, la démarche de Bouchard nous change de cell de la plupart de nos historiens. Jusqu’à très récemment, à cause de «la relation de dépendance très intense, quasi exclusive, que [nos] élites socioculturelles ont longtemps entretenue avec la France», ils n’ont cessé d’observer notre histoire à la seule lumière de l’expérience française.
Afin de comprendre ce qui a su se jouer dans ce qu’il décrit comme «les angles morts de la mémoire nationale», Gérard Bouchard se devait de déborder du champ de vision trop restreint des historiens patriotards. Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde est un livre qui change la vision que nous pouvons avoir de notre histoire, ce qui est une façon de commencer à changer le cours de cette histoire.

Genèses des nations et cultures du Nouveau Monde
de Gérard Bouchard
Éd. Boréal, 2000, 489 p.