Lawrence Block : Le Bogart de la cambriole
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Lawrence Block : Le Bogart de la cambriole

L’espace imaginaire du prolifique Lawrence Block, dont plus de vingt-cinq titres ont déjà été traduits en français, est sans frontières, cosmopolitain, tout en étant confiné sur «-une île-une ville-». Comme le prouve Le Bogart de la cambriole.

Le Bogart de la cambriole
de Lawrence Block
L’espace imaginaire du prolifique Lawrence Block, dont plus de vingt-cinq titres ont déjà été traduits en français, est sans frontières, cosmopolitain, tout en étant confiné sur «-une île-une ville-». Même s’il transgresse parfois les limites de Manhattan, l’écrivain américain est en quelque sorte le Woody Allen du polar, puisque New York est le paysage principal de son oeuvre.
Dans Le Bogart de la cambriole (peut-on concevoir titre plus franchouillard?), Block nous ramène un des deux héros fétiches qui sillonnent, en parallèle, les bas-fonds de son univers… ainsi que le territoire criminellement fertile de la Grosse Pomme. Prenant congé de Matt Scuder, son vieux détective bourru qui fréquente les Alcooliques Anonymes en même temps qu’une pute à la retraite, et qui occupe la plus large part de son oeuvre, l’auteur nous revient, pour notre plus grande joie, avec son second violon, le libraire d’occasion Bernard Grimes Rhodenbarr.
Bernie est un baby-boomer délinquant célibataire, un cambrioleur d’expérience avec un minimum d’éthique, un Robin des Bois postmoderne dont la meilleure amie est une lesbienne qui tient une boutique où l’on bichonne chien et chat; et dont l’ennemi favori est un flic déglingué qui soupçonne ses tendances kleptomaniaques, mais tente d’en tirer profit, ne serait-ce que pour offrir un vison volé à sa femme.
Si les habiletés de crocheteur de serrures du libraire sont nécessaires au bon déroulement de l’intrigue, les livres de son fonds de commerce contiendront davantage d’indices utiles pour assurer la résolution de l’énigme. En impliquant Bernie dans une aventure, Lawrence Block annonce ses couleurs. L’enquête ne se fait plus seulement dans la rue, mais également sur les rayons du bouquiniste. On pénètre dans les coulisses de la culture. D’ailleurs, la boutique, la Barnegat Books, est au centre du quiproquo invraisemblable de ce roman qui nous entraîne, avec Bernie, dans une rétrospective cinématographique conscrée à Humphrey Bogart, et qui nous perd dans les velléités d’indépendance d’une micro-nation des Balkans, l’Anatrurie!
Pour lier ces deux pôles, il y a la belle Ilona, qui est entrée dans sa boutique de livres à lui, Bernie, plutôt que dans n’importe quelle autre. Pour y déclencher la mécanique du délire: politique internationale, émergence des nationalismes, trésors royaux et comptes secrets dans les banques suisses, le tout sur fond d’histoire d’amour.
Pas crédible? Mais voyons, nous sommes à New York, terre de tous les (im)possibles! Parce qu’il faut bien le dire, c’est loin d’être la mieux construite des histoires de Block. Les déductions qui mènent son libraire à nous expliquer les meurtres qui ponctuent ce roman sont un peu beaucoup tirées par les cheveux. L’auteur a beau sentir le pouls de la mosaïque de la métropole américaine, ça n’en fait pas un spécialiste des affaires étrangères pour autant. Sauf qu’il nous embobine dans le fantasme amoureux de son Bernie Rhodenbarr, toujours à se demander comment Bogart aurait réagi.
En fait, c’est peut-être un mauvais roman policier. Mais sans doute un bon roman tout court… Éd. Seuil/Policiers, 1999, 308 p.