Femmes! / L'âme est un corps de femme : Femmes de rêve
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Femmes! / L’âme est un corps de femme : Femmes de rêve

Les préjugés contre le corps féminin ont la vie dure parce que les conformismes sexuels sont tenaces. On voudrait tant que les filles soient douces et dociles, rondes et maternelles, que les garçons soient virils et décidés, forts et protecteurs. Seulement, tout cela n’était qu’un conte de fées, et il va bien falloir un jour se rendre à l’évidence. Voilà deux livres qui nous aideront à redescendre sur terre, sans trop nous faire  mal.

Pourquoi l’âme est-elle féminine, alors que les femmes n’y ont eu droit que bien récemment dans l’histoire? Pourquoi parle-t-on toujours de la connaissance selon une métaphore féminine voire maternelle: pourquoi dit-on, par exemple, que l’esprit accouche de ses idées, que l’imagination est fertile, féconde, nourrie de lectures et d’expériences?
La professeure de langue et littérature grecques (à l’Université John Hopkins de Baltimore), Giulia Sissa s’est penchée sur les textes de nos plus antiques philosophes (Platon, Socrate, et leurs émules) pour aller à la source de la séparation des sexes. «Être son âme et avoir un corps, un tombeau ambulant, un cadavre en sursis. Ne pas confondre avec cette matière périssable, bientôt pourrissante, cet agrégat instable de fluides en perpétuel mouvement, ce cachot de l’intérieur duquel on entrevoit un monde déformé.» C’est ce à quoi veulent échapper les hommes, surtout les philosophes, eux qui redoutent la mort et la matière; ce que la femme, cet «agrégat instable», assumera. En effet, s’ils sont esprit, elle sera corps, ainsi que l’ont décidé les Anciens.

Dans L’âme est un corps de femme Giulia Sissa soumet l’hypotèse intéressante que les Grecs se seraient peut-être trompés lorsqu’ils ont fait des hommes et des femmes deux genres différents. Appartenant à un même «genre» humain, ils sont trop semblables pour constituer deux espèces, mais pas assez pour être tout simplement «humains».
Total? Les hommes grecs ont pu se débarrasser des femmes, en les assujettissant à des politiques discriminatoires (pardonnez l’anachronisme sémantique), mais n’ont pas pu se débarrasser du «féminin», toujours présent, même en eux, ce qui leur donna visiblement d’horribles cauchemars. Les femmes ont donc prêté leur corps et leur âme à la science se «[rapprochant] le plus possible d’une surface d’écriture», et servant de support à la connaissance masculine en pleine ébullition.

Voilà pourquoi la femme est un objet, et l’homme, un sujet, depuis si longtemps. Je implifie, bien sûr. Mais cet essai très sérieux et spécialisé propose une réflexion sur la question des genres tout à fait pertinente, sujet des plus contemporains.

Femmes!
Sautons plusieurs siècles et quelques millénaires. Depuis les philosophes grecs, c’est-à-dire depuis ceux qu’a étudiés Giulia Sissa, la femme a reconquis son corps. Tellement qu’aujourd’hui une biologiste du nom de Natalie Angier a écrit un essai, Femmes, De la biologie à la psychologie, la féminité dans tous ses états, dans lequel elle réhabilite l’objet devenu sujet, et chante les louanges du corps féminin. Désormais, nos hormones, muscles et chromosomes valent leur pesant d’or, et peuvent vaincre n’importe quel relent de théories platoniciennes qui, malgré les siècles, ont la couenne dure. «L’idée de la toxicité du sang menstruel a envahi la pensée planétaire, à l’Ouest comme à l’Est, au Nord comme au Sud. La femme qui a ses règles libère des émanations nocives. C’est pourquoi la viande s’avarie, le vin tourne à l’aigre, la pâte à pain ne lève pas, les miroirs s’obscurcissent et les couteaux s’émoussent en sa présence. On la confine donc dans une hutte, à la maison, où vous voulez à condition que ce ne soit pas ici.» Bon, d’accord, l’Occident ne croit plus à ces balivernes… mais il s’en est inventé d’autres.

Angier pourfend, avec une mordante ironie, les idées reçues sur le corps féminin pour lui restituer une autonomie. Non, nos courbes n’ont rien à voir avec la fécondité. «Les rondeurs n’ont rien d’indispensable. Force, fécondité, vitalité et lactation n’ont rien à y voir. Et pourtant, mystérieusement, tout chez nous évoque la courbe, jusqu’à nos expressions. Courbe des seins, des muscles. Et la courbe des pommettes, que figure-t-elle? Les seins, les fesses de la face? De mini-biceps, des pommes, ou des visages dans le visage?» Absurde tout cela? Pas autant que ceux qui s’étonnent qu’une grande asperge puisse porter des bébés, et leur donner la ttée.

L’intérêt du livre de Natalie Angier (prix Pulitzer, reporter scientifique au New York Times) réside dans le fait qu’elle se sert justement de la science (la génétique, l’anthropologie, l’endocrinologie, la neurologie, etc.), matière de la raison par excellence: en s’appuyant sur ses recherches (malheureusement, l’édition française a retranché la bibliographie), l’auteure veut prouver que les femmes ne sont pas «par nature» inférieures aux hommes. Petit hic: elle a tendance à penser qu’elles leur sont même supérieures, conclusion qui déconcerte les plus égalitaristes d’entre nous.

Les préjugés contre le corps féminin ont la vie dure parce que les conformismes sexuels sont tenaces. On voudrait tant que les filles soient douces et dociles, rondes et maternelles, que les garçons soient virils et décidés, forts et protecteurs. Seulement, tout cela n’était qu’un conte de fées, et il va bien falloir un jour se rendre à l’évidence.
Voilà deux livres qui nous aideront à redescendre sur terre, sans trop nous faire mal.

L’âme est un corps de femme
de Giulia Sissa
Éd. Odile Jacob, 2000, 213 p.

Femmes!
de Natalie Angier
Éd. Robert Laffont, 2000, 430 p.