Adriaan Van Di : Vin de palme
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Adriaan Van Di : Vin de palme

Qu’emporteriez-vous sur une île déserte? Suzanne Courtland, l’héroïne de Vin de palme, y a apporté son chagrin, ses blessures, elle qui a échoué sur cette terre d’accueil improvisée. C’est du moins ce qu’elle raconte au narrateur de ce roman, qui, fasciné par ses toiles et ses dessins, tente de percer le mystère de cette originale qui vit à l’écart de  tous.

Qu’emporteriez-vous sur une île déserte? Suzanne Courtland, l’héroïne de Vin de palme, y a apporté son chagrin, ses blessures, elle qui a échoué sur cette terre d’accueil improvisée. C’est du moins ce qu’elle raconte au narrateur de ce roman, qui, fasciné par ses toiles et ses dessins, tente de percer le mystère de cette originale qui vit à l’écart de tous.
Adriaan Van Dis (né en 1946, en Hollande, où il est aussi journaliste et animateur d’une émission littéraire) est un écrivain réputé aux Pays-Bas, où il figure parmi les grandes voix de la littérature néerlandaise; il n’en est pas à son premier livre sur l’Afrique, endroit où il a situé ce roman (le cinquième à être traduit), plus précisément sur une île au large de la côte occidentale du continent.
Île paradisiaque? Pas vraiment. On y trouve des réfugiés, des trafiquants d’ames, des ports qui «montrent leur ventre et puent», des «chèvres crevées». L’endroit est aussi déchiré entre séparatistes et continentaux, entre musulmans et catholiques, eux qui vont chercher leur pain au même village, mais à deux comptoirs différents. «Les insulaires n’aimaient pas l’autorité. Un ordre était accueilli d’un geste méprisant du menton. Si la terre ferme disait non, l’île disait oui, même si le non lui eût été plus favorable. (…) Jadis, l’île avait été un lieu de rassemblement d’esclaves et, depuis ce temps, la population était allergique à la servitude.»
Mais c’est un paradis tout de même, que redessine continuellement Suzanne, coucher de soleil après coucher de soleil; elle devra y affronter les esprits, ceux des esclaves morts et dont les souffrances sont restées intactes quelque part dans l’air parfumé de l’île.
C’est en buvant du vin de plame, liqueur défendue entre toutes, que Suzanne découvrira ces esprits. «Le vin de palme déclenche en vous d’étranges forces. Ce qui se libère de la sorte s’accumule dans votre sang. Vos oreilles entendent, vos yeux voient plus de choses… Le bien et le mal en sont amplifiés. Il faut le boire avec prudene, disent les initiés, car en moins de rien, vous connaissez des sensations qui bouleversent toute votre vie.»
Si vous pensez que Van Dis saute à pieds joints dans la soupe aux clichés, vous vous trompez: l’auteur les pourfend au contraire, à travers, par exemple, ce fils d’armateur, un Blanc, atteint de cancer qui refuse de se faire soigner et de quitter l’endroit, se décrivant comme un «enfant de l’Afrique». Il refuse également de faire la charité aux Noirs qui peuplent l’île. «Nous voulons maintenir tout le monde en vie, sans pouvoir offrir un avenir aux survivants», déplore-t-il.
Vin de plame est une fable construite sur une réflexion politique, mais n’en a pas la lourdeur. Au contraire, la richesse des descriptions, la sensibilité de l’écriture rehaussent le récit d’une poésie simple mais pénétrante. Exotisme et dépaysement sont présents, mais ne constituent pas l’épine dorsale du roman. «Soudain parvinrent à mes narines l’odeur du bois qui brûle, des braseros où cuit le repas du soir, celle du poisson, des ânes, et celle, terreuse, des torses nus et de la boue, malaxée par une mer déchaînée. Les odeurs de l’île de Suzanne. Je la vis peinant pour avancer dans le sable mou, je la vis chez elle, parlant, n’arrêtant pas de parler et je vis la mer derrière elle.»
La solitude de cette femme meurtrie est peut-être volontaire, elle aura à choisir son camp lors d’événements politiques qui secoueront l’île et dans lesquels elle jouera un rôle déterminant. Un belle histoire, qui montre que tant qu’il reste de l’humanité, les miracles sont toujours possibles. Éd. Gallimard, 2000, 131 p.

Vin de palme
Vin de palme
Adriaan Van Di