Yanick Paquette : Maître de son dessin
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Yanick Paquette : Maître de son dessin

Son crayon a façonné les muscles de Superman et taillé la silhouette de Wonderwoman. Portrait d’un superdessinateur québécois qui a conquis les États-Unis.

Souffre-t-il d’hallucinations dues au surmenage? L’univers fantastique dans lequel il passe le plus clair de ses journées est-il en train de détruire son lien avec le monde réel? Comme Gambit, le personnage des X-Men qu’il illustre pour le compte de Marvel, Yanick Paquette entretient un mystère autour de ses origines. Sur son site Web, il prétend avoir été élevé en Afrique par des autruches, avant d’être arraché à ses «frères sans bras» par la Croix Rouge qui l’aurait catapulté au Québec!

En revanche, on est sûr d’une chose: ce bédéiste est l’artiste québécois le mieux positionné chez Marvel et DC Comics. Il a déjà travaillé pour les deux géants américains du superhéros qui lui ont tour à tour confié la tâche de dessiner les aventures de Wonderwoman, Superman et Gambit. Détail digne de mention: il a 26 ans et travaille pour les Américains depuis déjà cinq ans. «Ça fait un peu plus longtemps que ça, mais, avant, ils ne me payaient pas», précise-t-il.

Paquette, un grand dévoreur de bédés qui rêvait de devenir entomologiste, a choisi son métier après avoir eu une «révélation»: «Je suis allé à une convention de comic books et j’ai rencontré Denis Rodier, qui faisait l’encrage de Superman. J’ai réalisé que c’était possible de vivre de ça au Québec. C’est aussi risqué que de vouloir être acteur à Hollywood, mais ça en prend au moins un pour dessiner!»

Dans ce business, la distance importe peu. Marvel engage des artistes partout dans le monde. Paquette croit d’ailleurs que son identité québécoise est un avantage sur le marché américain. «On a des bédéistes talentueux ici, parce qu’on est une espèce de rencontre entre plusieurs courants: le manga, la bédé européenne et le comic book américain. Cette culture-là nous permet de faire une synthèse de tous ces styles.»

D’un géant à l’autre
Des mythes; il n’y a pas d’autres mots pour décrire Superman ou Wonderwoman. Contrairement aux malfaiteurs, Paquette ne les craint pas. «Il y a une pression qui vient avec ces personnages, mais je trouve ça pratique de faire des choses qui existent depuis longtemps. Quand je dessine Superman, je ne me demande pas comment il se tient dans telle ou telle situation, je le sais. Superman, c’est presque un ami d’enfance!»

Malgré un bon début de carrière chez DC, le Montréalais a quand même passé à l’Ouest l’an dernier. Il est parti dessiner Gambit chez Marvel. Il ne faut pas se méprendre, il s’agit d’une véritable promotion! «Gambit est inconnu du grand public, mais il vend beaucoup mieux que Superman, explique le dessinateur. Du point de vue de la visibilité, c’était très intéressant.» Ça n’empêchera pas Paquette de retourner chez DC, dès qu’il aura bouclé le numéro 24 de Gambit. «Faire un mensuel, c’est ridicule comme vie, soupire-t-il. C’est beaucoup de sacrifices sur sa vie personnelle et ça commence à peser sur mon moral…»

«Je peux à peine sortir de mon studio, poursuit-il. C’est un travail insensé de 10 à 12 heures par jour et j’ai rarement deux jours de suite les fins de semaine. C’est faisable si tu travailles pendant un mois et que tu dors pendant celui qui suit, mais accepter un mensuel, c’est comme dire oui à un rôle dans un téléroman quotidien; tu ne peux pas dire au producteur de tuer ton personnage parce que tu n’es plus capable!»

L’autre chose qui embête Paquette, c’est que de telles conditions de travail ne lui permettent pas d’évoluer en tant qu’artiste. «J’aime relever des défis. Depuis quelques années, j’ai l’impression que je ne fais que chercher le raccourci pour que ça sorte plus vite. Du point de vue artistique, c’est un cul-de-sac.»

«En passant, ce que je fais ne me ressemble pas, insiste-t-il. Je lis rarement la bande dessinée que je dessine. Non seulement l’histoire est poche, mais il faut faire des concessions au niveau graphique qui font que le résultat est souvent décevant. J’aurais d’autres aspirations…» Comme P. Craig Russel, un crayonneur qu’il admire, il aimerait pouvoir choisir les histoires qui lui plaisent, dans le moule du superhéros ou autre.

«C’est possible d’écrire un Batman gnochon, inacceptable pour qui a un minimum de culture. Mais c’est aussi possible d’écrire quelque chose comme Dark Knight Returns. Quiconque prendrait le temps de lire ce Batman se rendrait compte qu’il a un véritable contenu. C’est ce genre de projet que j’aimerais trouver.»

D’ici là, il aimerait faire Catwoman avec un bon scénariste. «Même si l’histoire est poche, je sais que j’aurais du fun. Gotham, la ville de Batman, c’est gothique, alors je vais pouvoir sortir mes livres d’architecture élizabéthaine et réapprendre mes structures de toit. J’essaie toujours d’avoir du fun dans mes projets. Si je fais deux bonshommes qui se battent dans un musée, je mets des peintures célèbres… J’essaie de trouver mon bonbon!»