Thierry Van Hasselt : Gloria Lopez
Livres

Thierry Van Hasselt : Gloria Lopez

Don Quichotte de la bande dessinée (selon un magazine européen), Thierry Van Hasselt a une conception bien précise de son art. Pour ce Bruxellois, cofondateur des éditions Fréon, sises dans la cité où règnent les géants Casterman et Dupuis, chaque livre doit posséder une autonomie propre.

Don Quichotte de la bande dessinée (selon un magazine européen), Thierry Van Hasselt a une conception bien précise de son art. Pour ce Bruxellois, cofondateur des éditions Fréon, sises dans la cité où règnent les géants Casterman et Dupuis, chaque livre doit posséder une autonomie propre. Comme d’autres (des éditeurs français tels que L’Association, Amok, Ego comme X), il refuse de se mouler aux exigences habituelles de format qui font de la BD un genre souvent contraignant pour ses créateurs (on pense à la dimension des albums, au nombre de pages imposé, à la pression exercée sur les auteurs pour les inciter à produire des séries).
Dans une entrevue accordée à la revue spécialisée Jade, il soutenait ainsi le projet de sa maison d’édition: "L’idée, je pense, c’est de défendre une bande dessinée assez difficile. Une bande dessinée d’auteurs, qui réfléchit sur ses spécificités à chaque niveau de construction, que ce soit le dessin, l’écriture, la structure du récit, jusqu’à la conception du livre, ça peut même aller jusqu’au moyen de le diffuser." Nous sommes manifestement loin d’Astérix, et autres BD à grande diffusion.
Se consacrant à la publication des ouvrages de ses confrères (les Denis Deprez, Alex Barbier et Vincent Fortemps), Van Hasselt a mis plus de cinq ans à réaliser Gloria Lopez, une oeuvre superbe qui s’inscrit dans cette démarche créatrice. Ses 190 planches (rien de moins) sont faites en monotype, c’est-à-dire que le dessin d’abord exécuté à l’encre sépia sur une surface de plastique est imprimé sur le papier une seule fois avant qu’il ne sèche. Le résultat de cette technique, qui compte peu d’exemples en bande dessinée, est remarquable: une bande peinte, en quelque sorte, aux gris variés, aux flous volontaires.
Gloria Lopez y est une jeune et séduisante Brésilienne qui vit en France après avoir fui son pays à la veille de ses noces. Retrouvée morte peu après l’assassinat du patron du cabaret où elle travaillait, Gloria, ou plutôt son corps, devient sujet d’étude pour un médecin qui en fait une autopsie non autorisée. Ce dernier, cherchant moins les causes du décès que l’âme de cette jeune femme qu’il apprend à aimer, finit par regretter d’en avoir abîmé la sublime enveloppe…
Car dans la narration, effectuée par le médecin entre les étapes de sa dissection, se donne à lire une quête de connaissance. Relatant ce qu’il en a appris, le praticien nous révèle la pureté de Gloria qui tentait de protéger sa vertu dans son milieu de travail, mais qui fut finalement dépucelée contre son gré par son patron. Sorte de Justine moderne, l’héroïne et son histoire ont d’ailleurs été inspirées à l’auteur par la lecture du célèbre roman du marquis de Sade.
Lecture exigeante que celle de Gloria Lopez. La narration du médecin, disposée entre les vignettes, est en alternance constante avec les répliques des personnages qui ont lieu dans un autre espace-temps, imposant une lecture à deux niveaux et une attention soutenue. Une bande dessinée difficile, certes, mais dont la qualité du graphisme et la force du texte procurent un plaisir peu ordinaire. Comme quoi il peut rapporter de se battre contre des moulins. Ambitieux monsieur Van Hasselt!

Éd. Fréon, collection Amphigouri, 2000, 208 p.