Rezvan : L'Origine du monde
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Rezvan : L’Origine du monde

L’intrigue de L’Origine du monde, de Rezvani, tient toute dans les quatre pages de prologue du roman. Un jour de 2020, un incendie détruit le Grand Musée et les oeuvres qu’il héberge; le désastre est le fait de Bergamme, un nain un peu fou qui désirait voler un tableau. Les 400 pages suivantes sont consacrées à une reconstitution des événements ayant conduit à cette catastrophe, et surtout à la présentation d’un ensemble de considérations sur l’art dans lesquelles Bergamme se justifie de voler et de retoucher des peintures célèbres.

L’Origine du monde
Pour une ultime histoire de l’art
à propos du "cas Bergamme"
de Rezvani
L’intrigue de L’Origine du monde, de Rezvani, tient toute dans les quatre pages de prologue du roman. Un jour de 2020, un incendie détruit le Grand Musée et les oeuvres qu’il héberge; le désastre est le fait de Bergamme, un nain un peu fou qui désirait voler un tableau. Les 400 pages suivantes sont consacrées à une reconstitution des événements ayant conduit à cette catastrophe, et surtout à la présentation d’un ensemble de considérations sur l’art dans lesquelles Bergamme se justifie de voler et de retoucher des peintures célèbres.

Le titre du roman reprend celui de l’oeuvre que le personnage voulait s’approprier. L’Origine du monde est l’appellation dont on se sert pour identifier la célèbre toile de Gustave Courbet représentant, étendue sur une couche, une femme nue dont on ne voit que les seins, le ventre et, entre les cuisses grandes ouvertes, le sexe béant: un des plus beaux et des plus troublants tableaux de notre époque qui, après avoir été caché pendant plus d’un siècle, compte désormais parmi les peintures les plus souvent reproduites.
La fascination qu’exerce cette toile tient précisément au fait qu’elle montre ce qu’on ne devrait pas montrer. Aussi, selon Bergamme, sa place n’est pas au musée. Pas par respect pour la pudeur, bien au contraire: par respect pour la toile, qui a certainement été peinte aux frais d’un collectionneur libidineux; ce tableau n’a pas été fait pour être contemplé par la foule, mais pour un homme seul en train de se masturber!

Les questions que soulève le tableau de Courbet deviennent alors, pour Rezvani, le point d’ancrage d’une vaste réflexion sur la peinture. Pourquoi s’obstine-t-on à restaurer à coups de millions des portraits que l’artiste a réalisés dans le seul but de payer son loyer en flattant la vanité de modèles assez riches pour retenir ses services? Pourquoi protéger La Joconde avec une vitre pare-balles quand on sait que le tableau a été retouché des dizaines de fois depuis la mort de Léonard de Vinci? Comment peut-on en venir à débourser des millions de dollars pour une toile de Van Gogh que ce dernier a échangée contre une bouteille de vin?

Qui doit-on tenir pour responsable d’un tableau? La réponse est peut-être dans une anecdote rapportée par Bergamme. À un représentant du gouvernement de Franco qui demandait à Picasso si c’était bien lui qui avait fait Guernica (le tableau évoquant la destruction de la ville de Guernica par l’armée fasciste espagnole avec l’aide de l’aviation nazie), le peintre répondit: non, c’est vous.

Après avoir parcouru le bouquin de Rezvani, on ne portera plus le même regard sur les oeuvres accrochées dans les musées. Il reste que L’Origine du monde est malgré tout un bien piètre roman, dont la mince trame narrative n’est rien de plus que le prétexte à l’exposition de diverses considérations sur la place de la peinture, et de l’art en général, dans nos sociétés contemporaines.

Éd. Actes Sud, 2000, 405 p.