Jean-Christophe Grangé : Rencontre du troisième type
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Jean-Christophe Grangé : Rencontre du troisième type

Grosse rentrée pour l’écrivain français Jean-Christophe Grangé. Outre son très attendu troisième roman, Le Concile de pierre, qui trône au sommet des palmarès des meilleurs vendeurs, l’adaptation au cinéma de son précédent succès, Les Rivières pourpres, déferle sur grand écran en France. Nous l’avons rencontré, en pleine frénésie, à Paris.

Depuis la sortie de son nouveau thriller, la campagne médiatique littéraire entrecroise celle du film réalisé par Mathieu Kassowitz, adaptation de son roman Les Rivières pourpres, et qui met en vedette Jean Reno et Vincent Cassel. Toutefois, Jean-Christophe Grangé demeure foncièrement sympathique; le succès (ses deux premiers romans ont totalisé dans la francophonie des tirages de 450 000 exemplaires, et son dernier approche le cap des 200 000 en moins d’un mois!) ne lui est pas monté à la tête. "Mais la pression du succès a été épouvantable, d’avouer Grangé. Je n’écrirai plus dans l’état de stress que j’ai vécu pour celui-là. À chaque mot, je me demandais si les lecteurs, la critique allaient être déçus. D’ailleurs, j’ai choisi exprès de commencer à travailler sur mon prochain roman avant de m’embarquer dans la bourrasque promotionnelle du livre et du film. Et je vais bientôt me remettre au travail sans stress aucun."

Celui que sa maison d’édition surnomme le Stephen King français nous propose une fois de plus une histoire touffue, tordue, où s’entremêlent la fusion nucléaire, l’amour maternel, la parapsychologie et les rites chamaniques d’une peuplade de Mongolie. Au centre de ces univers parallèles, on s’attache à une femme, début trentaine, qui a jadis tripé sur la musique de Frankie Goes to Hollywood, et qui est devenue biologiste spécialisée dans l’étude des prédateurs!

Cette héroïne, Diane Thiberge, vient d’adopter un jeune garçon dont on ignore l’âge et les véritables origines, dans un dispensaire du fin fond de la Thaïlande. Et ce choix d’un personnage féminin central est loin d’être gratuit pour Jean-Christophe Grangé. "Mon défi, affirme l’auteur, était de pénétrer dans la conscience d’une femme. J’avoue qu’elle est assez masculine (rires)… Mais je suis fasciné par l’instinct maternel et tout ce que peut faire une mère pour son enfant. J’ai essayé de traduire la lutte d’une femme prête à se battre pour offrir la sérénité à son fils, pour démasquer ces êtres mystérieux qui veulent le sauver ou le tuer."

Grand reporter
L’arrivée en France du petit Lu-Sian, qu’on prénommera Lucien, déclenchera une avalanche de conséquences rocambolesques d’envergure internationale. Ce dont Grangé ne se défend pas. "Comme j’écris des histoires assez abracadabrantes, j’essaie, en retour, de muscler l’aspect de la véracité scientifique et historique. Alors, je me nourris de mon expérience journalistique. Un reportage que j’ai fait sur une tribu nomade qui habite exactement là où se déroule le dernier tiers du livre, à l’extrême nord de la Mongolie, à la frontière de la Sibérie, m’a beaucoup marqué. J’y ai passé deux mois. Les territoires étaient absolument vierges, cette ethnie était protégée par les montagnes et n’avait jamais été atteinte par le système soviétique, ni par le gouvernement mongol. Elle vivait de façon ancestrale, avec une tradition chamanique millénaire. Je voulais monter un crescendo sur fond de parapsychologie, un autre de mes sujets de reportage, dans le lieu de tous les possibles, la Mongolie, là où règne la magie."

Grangé, qui a été grand reporter pendant une dizaine d’années, ne se gêne pas pour grappiller dans sa besace bourrée d’expériences professionnelles. On ne s’étonnera pas d’apprendre qu’il a déjà enquêté sur la fusion nucléaire, autre vecteur de l’intrigue du Concile de pierre. Sur le ton de la confidence, l’ex-journaliste précise: "Vous savez, l’idée d’un site d’expérimentations nucléaires qui soit à la fine pointe de la science soviétique, donc à la fine pointe tout court, installé dans une région où l’on vit encore à l’âge de pierre, s’est réellement matérialisée en Sibérie. C’est une image forte, le raccourci de l’histoire humaine, où des ethnies très reculées sont confrontées aux technologies les plus folles."

Grangé pousse la déformation professionnelle au point d’entraîner Diane Thiberge à jouer elle-même à la journaliste, afin de faire avancer son investigation pour mieux comprendre les phénomènes étranges qui se manifestent autour de son fils. Il s’agit presque d’un constat sur le statut du métier. "Assez étrangement, j’ai pu constater à travers le monde que lorsque vous dites que vous êtes journaliste, on vous ouvre les portes. Il y a un lieu commun qui prétend qu’on ne raconte rien à un journaliste. C’est faux. Tout le monde a envie de raconter ce qu’il fait, même quand c’est secret. La meilleure façon d’accéder aux choses et d’expliquer sa présence quelque part, c’est de dire que vous êtes journaliste. En plus, personne ne vérifie!"

En quittant Jean-Christophe Grangé, notre plus grande crainte est de savoir qu’il a renoncé au journalisme pour se consacrer entièrement au roman. Le premier abreuvait tellement bien le second qu’on ne voudrait pas que la source se tarisse. Mais le principal intéressé se montre rassurant. "Je n’ai plus de temps pour faire du journalisme. Mais j’ai encore des réserves."


Le Concile de pierre

La recette Grangé est simple dans sa complexité. À partir d’une histoire qui sollicite notre compassion (les tribulations d’une femme qui désire adopter un enfant), l’écrivain sème sur le chemin une série d’obstacles qui font dériver le cours normal des choses et déraper la logique de la raison. Malgré la démesure des invraisemblances qui constellent ce récit, une accumulation de vérités scientifiques tente, souvent en vain, de lui donner un peu de crédibilité romanesque. Pour avaler ce genre de traitement, il faut être un peu glouton. Quand on s’y prête sans préjugé ni retenue, on nage dans le bonheur et on dévore comme un requin. Si on fait la fine bouche, c’est plus difficile à digérer. Même si ça alimente notre intelligence. Pour les appétits voraces qui croquent allègrement dans l’improbable de la vie et de l’industrie du divertissement…

Éd. Albin Michel, 2000, 411 p.