Léo Ferré : Alma Matrix
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Léo Ferré : Alma Matrix

Ceux qui aiment déjà Léo Ferré seront ravis de lire Alma Matrix (ou de l’écouter, récité par Richard Martin, sur l’album du même titre paru en même temps que le livre). Quant à ceux qui n’apprécient toujours pas les tournures qu’ont pris les dires de ce cher vieux Léo après qu’il en eut fini avec ses mignonnettes chansonnettes des années cinquante… Basta!

Léo Ferré

est décédé en 1993, à l’âge vénérable de soixante-dix=sept ans. Et depuis que le vieil anarchiste de la chanson s’est mis à "fumer autre chose que des Celtiques" (pour reprendre la formule qu’il a lui-même utilisée afin de parler de sa propre mort), on s’est attelé à la tâche de rendre publics les enregistrements et les manuscrits retrouvés dans son studio personnel et sur sa table de travail.

Alma Matrix est un texte écrit dans les années soixante-dix, un long poème dont l’imagerie un brin surannée évoque les classiques surréalistes de l’érotisme.
"La femme vient de la mer. C’est salé, c’est poivré, c’est doux, c’est huilé, c’est noisette": les premières lignes donnent le ton. Alma Matrix (matrice nourricière, en latin) est un hommage à la beauté moite des sexes, où "la Vulgarité devient somptueuse, de très haut vol", avec des phrases comme "Je vous lèche le sentiment".

Érotique, certes, mais Alma Matrix n’est pas de ces livres qu’on "lit d’une seule main", comme le disait si bien ce grand masturbateur de Jean-Jacques Rousseau. Ce texte se fait, avant toute chose, l’écho de l’exubérance même du désir, de ce qui est l’essentielle raison d’être du vivant: "Ce gonflement généreux de la sève, dans la branche, ça doit faire du bien à l’arbre. Les attentats à la pudeur? Il n’y a qu’à sortir, au printemps, dans la forêt, ce bordel tout feuillu, angélique quand l’homme sent la graine."

Alma Matrix serait plutôt une sorte de philosophie de l’érotisme, ponctuée de passages qui, par exemple, feront en sorte qu’on ne regardera plus jamais une robe tout à fait de la même façon: "Certains couturiers sont érotomanes jusque dans la trame de leurs tissus. Ils se transmettent à la soie, au cuir. Ils habitent avec la matière qui va bientôt se fondre avec la vénération du corps et cela pour les yeux, pour leur plaisir et cette attente qui les fait se voiler au seuil du mystère promis par le galbe, la fronce ou l’épingle impavide."
Joliment illustré de dessins de Serge Arnoux, le livre se conclut sur des pages contenant un aveu fort significatif de la part d’un artiste comme Léo Ferré, pour qui la musique était toute sa vie: "Je voudrais baiser ta voix… Alors, j’en aurai fini avec la musique et ses violons secourables. Le foutre de la musique, c’était pourtant ta voix cassée, avec sa bouche au fond de ma gorge."

Ceux qui aiment déjà Léo Ferré seront ravis de lire Alma Matrix (ou de l’écouter, récité par Richard Martin, sur l’album du même titre paru en même temps que le livre). Quant à ceux qui n’apprécient toujours pas les tournures qu’ont pris les dires de ce cher vieux Léo après qu’il en eut fini avec ses mignonnettes chansonnettes des années cinquante… Basta!

Éd. La mémoire et la mer, 2000, 55 p.