Young Alice : Au pays des géants
Livres

Young Alice : Au pays des géants

Bernard Claveau signe un premier roman: Young Alice. Une enquête sur le thème d’Alice au pays des merveilles, et de sa genèse.

On n’a qu’à consulter l’un ou l’autre des sites Web consacrés à l’écrivain anglais Lewis Carroll, de son vrai nom Charles Lutwidge Dodgson, pour voir combien les mystères entourant la vie de l’homme ont inspiré, et continuent de susciter, autant sinon davantage d’étonnement que ne le fait son oeuvre.

Ainsi, on se demande encore si l’éminent professeur de mathématiques et de logique au Christ Church College, à Oxford, est bien le même homme qui devait signer, en 1865, ce chef-d’oeuvre de littérature du nonsense qu’est Alice au pays des merveilles.
Quant à la prétendue passion que portait l’écrivain aux toutes jeunes filles, et particulièrement à Alice Liddell, l’une des trois filles du doyen de Christ Church auprès desquelles Carroll s’amusait en 1862 (Alice avait alors dix ans) à inventer les aventures qui feraient ensuite l’essentiel de son célèbre conte, on peut dire que la rumeur a contribué à la légende.

Nul doute qu’aujourd’hui encore, cent deux ans après la mort de l’écrivain, toute révélation ou découverte le concernant font frétiller de joie bon nombre de fans de bon aloi; tandis que d’autres, attirés surtout par l’appât du gain, s’en frottent grassement les mains. Après la découverte, à Londres, il y a quelques semaines à peine, de cinq nouvelles lettres écrites par l’auteur (qui en aurait signé plus de 50 000 sa vie durant), un encanteur indiquait que chacune pouvait facilement trouver preneur à mille livres (plus de deux mille dollars canadiens).

Ces supputations et fascinations entourant le phénomène Lewis Carroll ont inspiré Bernard Claveau, traducteur de formation, Young Alice, un premier roman dans lequel toute ressemblance avec les personnages connus est donc voulue. En lieu et place de Lewis Carroll, Bernard Claveau a nommé Lewis Nunn (de son vrai nom Charles Lutwidge Feinstein), né en 1863, mort en 1927 (un décalage de quelque trente années par rapport à la vie et la mort de Carroll), auteur d’un conte pour la jeunesse intitulé Young Alice, qui lui aurait été "inspiré" par Alice Levine, l’une des trois filles d’un certain docteur Levine.
Pourquoi avoir senti le besoin de donner des noms différents à ces personnages connus de l’histoire de Lewis Carroll? Peut-être pour bien marquer le fait, justement, que le roman de Bernard Claveau est fort différent de ce qu’a écrit Carroll. Au nonsense carrollien, Claveau oppose une narration sans fioriture et une histoire qui, bien qu’elle puisse s’enorgueillir d’être cérébrale et complexe, n’interpelle pas comme l’oeuvre de Carroll la curiosité amusée du lecteur.

Young Alice est sérieux. C’est d’un roman d’enquête qu’il s’agit. En trente-trois chapitres courts, Bernard Claveau y raconte les événements qui suivent la découverte d’un message inséré par Nunn lui-même dans la couverture d’un exemplaire à tirage limité de son oeuvre célèbre, Young Alice. Le message est le suivant: "J’avais prévu le rendre public, mais il y eut les propos diffamatoires de tu sais qui, puis… la gloire. P.-S. J’indique où on trouvera les cahiers d’écolier, au cas où on ne me croirait pas."

Dès lors, toute une série de personnages vont s’intéresser à l’affaire. Universitaires, avocats, détectives, parents et héritiers multiplieront les recherches, et du coup les guerres de clans, tous plus pressés les uns que les autres de démasquer Nunn. Les "cahiers d’écolier" auxquels fait allusion le message peuvent contenir de deux choses l’une: le journal d’une enfant dont Nunn aurait abusé sexuellement; ou le manuscrit original de Young Alice. D’une façon comme de l’autre, c’est un grand coup.

Bernard Claveau, qui s’est maintenant attelé à la difficile tâche de traduire son roman vers l’anglais, est sans nul doute un homme méticuleux, comme le confirme d’ailleurs son éditrice, une qualité qui transpire de son texte où abondent les détails sur le reliage des livres, la contrefaçon d’écriture, et les considérations légales. Plus matheux que ludique, ce Young Alice n’ira donc pas nécessairement chercher les fans de l’oeuvre de Carroll : mais les lecteurs qui sont férus d’enquêtes, et qui plus est d’enquêtes littéraires (une fois n’est pas coutume), y trouveront bien leur compte.

Young Alice
de Bernard Claveau
Éd. Flammarion Québec, 2000, 272 p.

Lewis Carroll Home Page: http://www.lewiscarroll.org/carroll.html