Amélie Nothomb : À plein tube
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Amélie Nothomb : À plein tube

Amélie Nothomb figurait parmi les invités du Salon du livre de Montréal qui se terminait lundi. Cette antistar du milieu littéraire a fait preuve d’une simplicité et d’une générosité rareS chez les écrivains-vedettes. On en a profité…

Traduite en vingt-trois langues, et après dix livres publiés, Amélie Nothomb n’a pas la grosse tête: elle vous parle avec gentillesse, empathie, et fait preuve d’une sincérité à laquelle on croit. Elle qui a donné tant de place au langage et à l’écriture, au dialogue et à la joute verbale dans ses précédents romans, paraît aujourd’hui disposée à parler d’elle-même, comme en témoignent ses deux derniers ouvrages. Stupeur et Tremblements (pour laquelle elle a obtenu le Grand Prix du roman de l’Académie française, et celui de l’Association des libraires du Québec) évoque sa jeunesse et sa première expérience professionnelle (complètement ratée), alors qu’elle vivait au Japon; Métaphysique des tubes remonte encore plus loin et met en scène sa petite enfance. Y a-t-il vraiment virage dans la carrière d’Amélie Nothomb, ou tout cela n’est-il que… littérature?

Vous savez que les gens ne vous croient pas: qu’il est impossible que vous vous rappeliez votre enfance?
Mais je suis très claire dans mon livre là-dessus. Je ne prétends pas me "rappeler": je précise que jusqu’à deux ans et demi, ce que je raconte n’est pas de l’ordre du "souvenir", d’ailleurs tout est écrit à la troisième personne. À partir de deux ans et demi, je me souviens de sensations. Mais mon pari était de saisir des choses qui étaient de l’ordre de l’impression. Je pense que l’écriture est un moyen d’investigation tellement profond que rien qu’en écrivant on peut retrouver des impressions de cet âge tubulaire. Un moment de la vie où l’on n’est même pas une conscience, il n’y a pas de "je". Le "je" apparaît dans mon livre à partir du moment où l’on me donne du chocolat blanc. C’est là que tout a commencé!

Et je ne vois pas ce qu’il y a d’invraisemblable à avoir des souvenirs à partir de l’âge de deux ans et demi. Ça me fait rire quand les gens me disent qu’ils ne me croient pas: je ne prétends rien, c’est un témoignage qui n’a aucune garantie scientifique.

Vous parlez davantage du Japon, où vous avez vécu plus jeune, dans vos derniers romans. Est-ce que vous considérez que c’est la première fois que vous vous découvrez dans vos livres?
Non, pas du tout. Je m’investis dans tous mes livres avec la même ardeur. Il se trouve que dans ces deux romans-là, et dans Le Sabotage amoureux aussi, c’est moi, mais vue de l’intérieur. Je ne perçois pas la distance entre mes livres précédents et ceux-là. Franchement, toute aventure créatrice est à recommencer de zéro. Mais, autant maintenant que dans mes ouvrages précédents, le sujet en est toujours l’être humain.

Est-ce que cela ne prend pas du courage pour raconter sa propre vie?
Il y a effectivement un côté intimidant. Mais il y a moyen de dépasser cette intimidation. De toute façon, il ne s’agit pas de tout dire. Dans Stupeur et Tremblements, je raconte un épisode de ma vie au Japon; mais je ne parle pas, par exemple, de l’amoureux que j’avais à ce moment-là. Alors je ne dis pas tout. Je garde des choses pour moi.

Faites-vous attention, dans la manière dont vous menez votre carrière, à préserver votre vie privée?
Oui et non… Beaucoup de gens me disent: "Il doit y avoir une Amélie différente dans la vie et en public." Moi, sincèrement, je ne vois pas les choses comme cela. J’ai l’impression d’être la même partout. Je ne cultive pas d’image particulière. La question de l’image, honnêtement, je m’en soucie très peu. Je n’ai aucun contrôle là-dessus. Même si je m’appliquais à être le plus neutre possible, à être insipide, inodore, incolore, il naîtrait quand même une image. Les moindres de mes faits et gestes qui, personnellement, me semblent complètement anodins, sont parfois sujets à des interprétations et à des légendes fabuleuses: ce sont des choses que je ne peux pas contrôler. La seule chose qui me ferait réagir, ce serait lire quelque part: Amélie Nothomb est une fasciste ou une raciste.

Mais, jusqu’à présent, on s’est contenté de raconter sur mon compte des choses assez farfelues et rigolotes, ça ne me dérange pas; et, de toute façon, ce n’est pas mon problème. L’image est une fatalité, pour tout le monde, d’ailleurs.

Est-il vrai que vous avez un tas de manuscrits cachés dans vos tiroirs?
Oui, trente. Mais attention: il ne s’agit en aucun cas d’une réserve. Chaque fois que je publie, c’est un livre récent. Et l’immense majorité de tout cela n’est d’ailleurs pas destinée à la publication, ce sont des choses que j’écris pour moi, parce que j’ai besoin de les écrire.

Êtes-vous aussi boulimique de lecture que vous l’êtes d’écriture?
Absolument. Je lis énormément. Je ne pourrais pas écrire sinon. Ce serait comme être cuisinier sans avoir jamais mangé. C’est inimaginable.

Pourtant, vous figurez certainement parmi les auteurs chez qui l’on sent le moins l’influence d’autres écrivains. Votre style est très personnel: y apportez-vous une attention particulière?
Je crois que c’est parce que j’ai beaucoup lu, justement. Il faut lire énormément pour dix mille raisons; mais, entre autres, quand on est écrivain, pour savoir ce qui a déjà été fait. Pas que le but du jeu soit de faire absolument quelque chose de différent, mais enfin, quand même, je n’ai pas envie de faire ce que les autres font. À quoi bon? Et je ne lis pas non plus pour écrire: la preuve, je lis depuis plus longtemps que j’écris, et, plus jeune, je n’ai jamais pensé pouvoir devenir écrivain.

Que vouliez-vous faire alors?
Petite, je voulais être martyre. Ça a marché, lisez Stupeur et Tremblements. Après, j’ai voulu être interprète. Il a fallu l’extraordinaire échec de cet épisode que je raconte dans Stupeur et Tremblements pour me dire: "Ben ma vieille, que vas-tu faire de ta vie? Tu as déjà écrit dix romans… Tu ne crois pas que c’est ce que tu devrais faire? Devenir écrivain?" Et voilà…

Vos parents vous ont-ils encouragée?
Non, et ils ont eu raison! De bons parents n’encouragent pas leur enfant à tout plaquer pour essayer de vivre de sa plume! Quand je leur ai dit que je quittais mon fiancé japonais, le Japon et la maison (mais j’étais déjà partie depuis l’âge de 17 ans), pour aller écrire en Belgique, ils m’ont dit: "Mais tu es complètement cinglée!" Ils ont essayé de me retenir, et ils ont eu raison. Parce qu’il faut écrire malgré les autres.

Je suis donc arrivée en Belgique à 23 ans, et j’ai écrit Hygiène de l’assassin. Ça a marché, mais c’est un miracle, rien ne laissait croire qu’un miracle pouvait arriver!

Avez-vous eu du mal à vous imposer comme femme écrivain?
Je peux vous dire en tout cas que je me plais bien d’être une femme. Pour plein de raisons. Mais je suis profondément convaincue que certaines des attaques que j’ai eues, et j’en ai eu, croyez-moi, surtout à mes débuts, je ne les aurais pas eues si j’avais été un homme. Des insultes stupides et basses, comme on en voit souvent dans la presse française et qui sont à tomber par terre; du genre: "Mademoiselle Nothomb est une jeune fille qui pense…" C’est incroyable: quel mal y a-t-il à penser? Dites-le-moi. Et en plus, les journalistes français, masculins notamment, font une catégorie à part des romans écrits par des femmes. C’est ridicule!

Bon… Je ne suis pas militante, mais je suis signataire de la pétition des Chiennes de garde pour qu’on cesse d’insulter les femmes politiques à cause de leur sexe. Bien sûr, de par leur métier, elles prêtent le flanc à l’insulte, mais je veux que ce soit pour leurs actions, pas à cause de leur sexe. Cela devrait être la même chose pour les femmes auteurs.

Y a-t-il des sujets tabous, sur lesquels vous n’écrirez jamais?
Oui. D’abord, la mystique. Je crois que je suis une mystique, et je n’aurais pas de mots pour parler de ce sujet sacré. Pas plus d’ailleurs que du sexe, une chose que j’aime beaucoup, et que je veux garder pour moi. Il n’y a pas de mots là non plus. Ma façon à moi d’aimer ça, c’est de ne pas en parler.

Métaphysique des tubes
Éd. Albin Michel, 171 p.
Encadré

Les livres qui ont changé la vie d’Amélie Nothomb

Ainsi parlait Zarathoustra, de Nietzsche. "Ce livre que j’ai lu à 17 ans m’a sauvé la vie, et m’a sauvée de l’autodestruction, car c’était une époque de ma vie où je frôlais le danger. La formidable énergie nietzschéenne m’a montré qu’on pouvait se servir de ce formidable potentiel d’autodestruction pour faire autre chose que se détruire soi-même."

Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke. "C’est en lisant ce livre que je me suis dit que j’avais peut-être le droit d’écrire. Pas pour être écrivain, mais pour me laisser aller. Comment voulez-vous écrire quand vous avez lu Flaubert et Proust? Mais j’ai compris que là n’était pas la question. Ce qui comptait, c’est ce que disait Rilke: pouvais-je vivre sans écrire? Non. Voilà le plus important."

Métaphysique des tubes
Métaphysique des tubes
Amélie Nothomb