Le Crayon du charpentier / Le Masque de la bête : Contes pour tous
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Le Crayon du charpentier / Le Masque de la bête : Contes pour tous

: L’actualité ne me contrariera pas, alors que l’on évoque inlassablement le succès de la "pottermania": le fantastique fait du bien à la littérature, et ce n’est pas d’aujourd’hui. Et il n’y a que les enfants qui en profitent. À preuve, Le Crayon du charpentier, de Manuel Rivas, et Le Masque de la bête, de Jean-Luc Bizien: deux romans où le fantastique joue un rôle, mais pas toujours celui de divertir…

L’actualité ne me contrariera pas, alors que l’on évoque inlassablement le succès de la "pottermania": le fantastique fait du bien à la littérature, et ce n’est pas d’aujourd’hui. Et il n’y a que les enfants qui en profitent. À preuve, Le Crayon du charpentier, de Manuel Rivas, et Le Masque de la bête, de Jean-Luc Bizien: deux romans où le fantastique joue un rôle, mais pas toujours celui de divertir…

Manuel Rivas est originaire de Galice, province espagnole située au nord du Portugal, où l’esprit d’indépendance est aussi fort qu’en Catalogne. Il figure parmi les artistes et créateurs qui donnent un nouveau souffle à la culture espagnole, la diversifient. Le Crayon du charpentier, d’ailleurs écrit en galicien, est son troisième roman, le second à être traduit en français. L’action se déroule en 1936, au moment de la répression du Front populaire par Franco, en Galice, dans la région de La Corogne, tout près de la côte. Un garde civil franquiste, Herbal, tue un jeune peintre: "Sans plus, sans autre cérémonie, j’avais pointé le canon du pistolet sur sa tempe et je lui avais fait exploser la tête. Puis je m’étais souvenu du crayon. Le crayon qu’il avait mis sur son oreille." Il ramasse alors cet objet qui avait d’abord appartenu à un charpentier, Antonio Vidal, un rebelle communiste. Lorsqu’il le glisse sur son oreille, le crayon se met à lui parler, et à lui raconter la vie de son dernier propriétaire. Ce crayon, l’âme du jeune peintre, commente ses faits et gestes, lui donne des idées, et parfois des ordres. C’est ce qui vaudra aussi à Herbal, habitué au mal, de considérer le monde avec un peu plus d’humanité, les prisonniers surtout, sur lesquels il dispose du droit de vie et de mort.

Armé de cette nouvelle conscience, Herbal fait face, en prison, à la rébellion silencieuse et tenace du docteur Daniel Da Barca, un prisonnier qui tient tête à tout le monde, et ce, dans la plus grande douceur. Herbal, lors d’une de ces fatales promenades au bord de la falaise, appelées "paseadores", lui mettra le canon de son fusil dans la bouche, mais Da Barca s’en sortira. Le garde civil devra bien réfléchir, une fois pour toutes, à ce prodige: c’est grâce au jeune peintre, présent dans sa conscience, qu’il cultivera un respect pour le docteur.

Rivas, dans une langue fantaisiste mais pleine de sens cachés, de poésie, d’ironie, décrit ce monde pauvre et misérable, comme un lieu de miracles: au milieu des cellules, des malades, des morts, l’espoir s’incarne dans ce Da Barca dont la force tranquille servira à aider tous les autres prisonniers. Son soutien moral et physique (il soignera plusieurs malades de la tuberculose) fera, effectivement, des miracles.

Que la bête meure
Le Masque de la bête, roman policier se déroulant au temps des chevaliers, donne aussi la place au miracle. Mais celui-ci est dans l’air du temps d’alors: il fait partie du syncrétisme religieux médiéval, où la superstition explique tout.

Thibault est un jeune écuyer, qui usurpe la place de son chevalier, Jehan de Kermarec, lorsque celui-ci disparaît. Devenu un imposteur, Thibault rencontrera une bande de paladins, des troubadours qui volent et brigandent autant qu’ils dansent et chantent. Arrivé à Moncontour, village situé sur les côtes bretonnes (qui existe toujours, comme le précise l’auteur en avant-propos), fortifié et protégé par le seigneur Conan, la petite troupe découvrira le démon, le mal, l’enfer. Les villageois sont en effet terrorisés par une bête immonde, qui décapite ses victimes et leur dresse d’étranges sépultures. "Tous ceux qui ont croisé sa route ont fini de la même manière: la tête tranchée, déposée sur le corps d’un des saints protecteurs, une horrible grimace gravée sur la face."

Évidemment, c’est le rôle d’un chevalier que de servir le peuple et de sauver le monde. Seulement, Thibault n’a pas reçu l’adoubement, et craint plus que tout que Conan ne s’en aperçoive. C’est sa terreur quotidienne, car tout chez lui trahit sa jeunesse, son inexpérience, sa peur.

Jean-Luc Bizien bâtit tout un petit monde: le forgeron que le chagrin d’avoir perdu sa femme tue à petit feu; les jeunes soubrettes, riantes et légères, impressionnées par le chevalier qu’elles rencontrent; les charbonniers, vivant dans le mystère du coeur de la forêt; les troubadours, bien sûr, et ce roi terrorisant, une "bête de guerre", qui ne s’est jamais remis des croisades, et encore moins de sa consommation de haschisch, qu’il cultive depuis son retour. "Il buvait d’un trait, vidant son verre et se resservant aussitôt. Il mangeait vite, arrachant de monstrueuses portions de viande qu’il mâchait bouche ouverte, modulant des rots satisfaits pour signifier son plaisir."

Carnassier, libidineux, ce Conan ressemble plus à un ogre qu’à un homme, lui qui a appris les raffinements de la torture et des mises à mort. Charmante ambiance que décrit Bizien avec un rien d’ironie, mais sur un ton généralement bon enfant et quasi naïf.

Alors que dans le premier roman la qualité littéraire domine, on ne peut en dire autant du Masque de la bête. Mais le conte est trop beau, trop envoûtant, pour bouder son plaisir.

Le Crayon du charpentier
de Manuel Rivas
Éd. Gallimard, 2000, 176 p.
Le Masque de la bête
de Jean-Luc Bizien
Éd. du Masque, 2000, 318 p.

Le Crayon du charpentier / Le Masque de la bête
Le Crayon du charpentier / Le Masque de la bête
Manuel Rivas / Jean-Luc Bizien