Marie Auger : J'ai froid aux yeux
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Marie Auger : J’ai froid aux yeux

Après deux premiers romans qui allaient faire beaucoup jaser (Le Ventre en tête, en 1996, et Tombeau, en 1997), signés du nom de plume de Marie Auger, l’auteur allait publier deux autres titres : La Grosse Princesse et L’Abîmetière…

J’ai froid aux yeux, de Marie Auger

Après deux premiers romans qui allaient faire beaucoup jaser (Le Ventre en tête, en 1996, et Tombeau, en 1997), signés du nom de plume de Marie Auger, l’auteur allait publier deux autres titres: La Grosse Princesse, sous le pseudonyme encore quelque peu traficoté de Mario G., en 1998, suivi de L’Abîmetière (1999), par Mario Girard, vraisemblablement le nom de baptême du mystérieux auteur. Quatre livres après son arrivée dans le monde de la littérature, non content de n’avoir encore que trente et quelques années, il est de retour avec le numéro cinq: J’ai froid aux yeux, un nouveau roman dont la paternité revient à la plus connue de ses plumes, et certainement la plus cinglée: Marie Auger.

L’argument est à faire frémir. Rentrant à la maison après l’école, une fille découvre le cadavre de sa mère baignant dans son sang sur le carrelage de la cuisine. Sur le comptoir, cette note laconique: "Je n’en peux plus." Sa fille, asthmatique, ne pouvant évidemment se satisfaire de toutes les pompes de Ventolin du monde pour parvenir à respirer, se réfugie dans le seul espace où elle pourra trouver de l’air frais: le réfrigérateur. Dès lors, il ne se passe plus grand-chose dans la vie de cette fille sans mère. Elle est plus ou moins sans âge, bien que lorsqu’elle s’époumone à chanter "J’ai douze ans môman j’sais pas si tu comprends comment j’me sens", on puisse la soupçonner d’être à tout le moins restée bloquée à cet âge-là; aussi un âge charnière pour ses prédécesseurs Marie (Le Ventre en tête), celle qui voulait être mère à douze ans, et Maurice (l’héroïne au nom inusité de Tombeau), qui y serait parvenue, non sans perdre par la suite son enfant entre des mains (et plus sûrement des mirages) ennemies. Elle est sans âge, sans espoir, sans tristesse. Elle est tout en déni, bien qu’elle patauge dans le sang de sa mère à chaque fois qu’elle sort du réfrigérateur et traverse la cuisine pour aller répondre à la porte (et ça sonne souvent: c’est soir d’Halloween…).

La lecture de J’ai froid aux yeux ne se fait pas sans malaise. À cause du sujet, évidemment, le suicide d’une mère ne parvenant guère à déboucher sur plus de sens pour l’esprit que l’Holocauste. Mais peut-être y a-t-il aussi quelque chose dans la manière de l’auteur qui séduit moins que d’ordinaire. Il n’est pas certain que l’on puisse jamais parler de retenue verbale dans le cas de Marie Auger; néanmoins on a l’impression ici d’une espèce de tiédeur. Comme si l’auteur n’éprouvait pas le même confort dans la bousculade de mots et d’idées qu’il affichait dans ses deux premiers titres. Ceci dit, l’écriture de la folie est encore fameusement bien mimée. Et ici et là se profilent des petits éclairs de lucidité à la Marie Auger. Comme celui-ci: "L’ivresse de la liberté reste agréable jusqu’au moment où on se lève."

Le genre de phrase qu’on finit par afficher sur la porte du réfrigérateur… Éd. XYZ, 2000, 117 p.

J'ai froid aux yeux
J’ai froid aux yeux
Marie Auger