Histoire sociale des idées : Le passé recomposé
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Histoire sociale des idées : Le passé recomposé

Il y a 30 ans de travail dans ce pavé, et ça paraît! L’Histoire sociale des idées au Québec d’Yvan Lamonde propose un portrait exhaustif des mouvements d’idées qui ont traversé la société québécoise depuis les lendemains de la Conquête jusqu’à la veille du XXe siècle.

Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896

Il y a 30 ans de travail dans ce pavé, et ça paraît! L’Histoire sociale des idées au Québec d’Yvan Lamonde propose un portrait exhaustif des mouvements d’idées qui ont traversé la société québécoise depuis les lendemains de la Conquête jusqu’à la veille du XXe siècle.

Encore un autre livre d’histoire, diront certains, fatigués avec raison de voir ce pays dont la devise est "Je me souviens" se pencher une fois de plus sur son "maître le passé". Sauf que c’est une tout autre histoire que propose Lamonde. L’historiographie québécoise a eu tendance à survaloriser l’époque glorieuse de la Nouvelle-France. Mis à part l’épisode de 1837-1838, elle est généralement passée bien vite sur les deux siècles qui, de 1760 à 1960, séparent la Conquête de la Révolution tranquille. Les ouvrages qui ont développé cette vision nationaliste de notre passé pourraient tous porter le même sous-titre: De la France perdue à la francophonie retrouvée.

Yvan Lamonde ne ressasse pas, comme tant d’autres l’ont fait, les événements politiques et militaires qui ont ponctué notre passé. Il retrace plutôt les courants d’idées qui ont fait écho aux divers mouvements sociaux ayant secoué notre XIXe siècle. Et, ce faisant, il permet de découvrir que la société québécoise d’alors était nettement moins amorphe et pas mal plus pluraliste qu’on a voulu le faire croire.

Cette Histoire sociale des idées au Québec nous montre que, des lendemains de la Conquête jusqu’aux rébellions de 1837-1838, nos ancêtres n’ont pas vécu dans la nostalgie de la France. Le Québec des débuts du XIXe siècle cherchait plutôt à définir son appartenance continentale. Papineau lui-même le constatait: l’important était selon lui "de savoir que nous vivons en Amérique, et de savoir comment on y a vécu". On était alors très attiré par l’expérience politique des jeunes États-Unis, que certains Patriotes voyaient "comme l’arc-en-ciel de la liberté". Et on était bien moins intéressé par l’idée de renouer avec notre mère patrie française que par les mouvements d’indépendance qui, à la même époque, agitaient l’Amérique du Sud.

D’ailleurs, les Patriotes semblent n’avoir pas été aussi étroitement nationalistes et protecteurs-du-fait-français qu’on le prétend. Lamonde signale, par exemple, que "tout en se défendant de susciter ou d’entretenir ces "distinctions nationales", Papineau montr[ait] du doigt les institutions responsables de la création et du maintien des "distinctions nationales"." C’est d’ailleurs l’échec des rébellions qui entraînera notre repliement sur notre identité linguistique, et qui conduira à l’instauration d’un certain "type de nationalité: la "conservation" ou la sauvegarde de la nationalité, ultérieurement appelée nationalisme de conservation et qui est un nationalisme conservateur au plan des valeurs".

Histoire sociale des idées au Québec se fonde en partie sur une étude des institutions qui ont servi de véhicule aux idées. L’ouvrage est le lieu d’une histoire de l’édition, des librairies, des bibliothèques, des journaux, des cercles de lecture et des circuits de conférences. Chose remarquable, dont il ne faut évidemment pas s’étonner, il s’avère que ce sont les rares tenants des idées progressistes (lesquels étaient souvent partisans de l’annexion aux États-Unis) qui, au milieu du XIXe siècle, ont le plus ardemment contribué à la libre circulation des idées. Tandis que le clergé, dont le pouvoir culminera à la fin du XIXe siècle, a généralement été le promoteur de l’ignorance.

Avec ce livre, Yvan Lamonde contribue (ainsi que le font de plus en plus d’historiens, comme Gérard Bouchard, par exemple, avec qui Lamonde a collaboré plus d’une fois) à l’établissement d’une nouvelle façon de concevoir l’histoire du Québec. Le pan de mémoire que dévoile cet ouvrage (par ailleurs écrit avec une grande clarté) rend compte d’une société nettement plus ouverte et dynamique que celle qui nous a été présentée jusqu’ici par le biais d’une historiographie revancharde à la Lionel Groulx.

Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896
par Yvan Lamonde
Éd. Fides, 2000, 572 p.

Histoire sociale des idées
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Yvan Lamonde