84, Charing Cross Road : Lettres vivantes
Livres

84, Charing Cross Road : Lettres vivantes

Helen Hanff est née en 1916, à Philadelphie. Devenue scénariste et auteure, elle s’installe à New York pour vivre de son métier. Chichement, bien sûr. Un jour, elle lit le Saturday Review of Literature et tombe sur un petit encadré annonçant une librairie londonienne, sise au 84, Charing Cross Road, spécialisée dans les livres rares ou introuvables.

Helen Hanff est née en 1916, à Philadelphie. Devenue scénariste et auteure, elle s’installe à New York pour vivre de son métier. Chichement, bien sûr. Un jour, elle lit le Saturday Review of Literature et tombe sur un petit encadré annonçant une librairie londonienne, sise au 84, Charing Cross Road, spécialisée dans les livres rares ou introuvables.

Amoureuse des livres, Hanff écrit à la librairie. "Je suis un écrivain sans fortune mais j’aime les livres anciens et tous ceux que je voudrais avoir sont introuvables ici, en Amérique, sauf dans des éditions rares et très chères", dit-elle aux messieurs de la Marks & Co. Frank Doel, propriétaire de la librairie, répond à Hanff, et lui annonce qu’il a trouvé les essais de Hazlitt et de Stevenson, et qu’il les lui envoie, avec la facture.

La lectrice et le libraire échangeront ainsi une correspondance pendant 20 ans, à causer livres anciens, éditions spécialisées, et, de missive en missive, développeront une amitié, que partageront également les employés de Doel, ravis de recevoir tant de généreux dons de la part de cette New-Yorkaise.

En effet, alors que le rationnement sévit toujours à Londres, au lendemain de la guerre, Hanff fait parvenir à ses nouveaux amis des colis remplis de victuailles devenues rares en sol anglais. "J’ai envoyé le colis dont je vous ai parlé. Il contenait principalement un jambon de 6 livres. J’avais pensé que vous pourriez le faire trancher chez un boucher et que comme ça chacun pourrait en emporter un peu chez lui."

Les liens deviennent de plus en plus familiers entre Hanff et Doel. Elle se met à l’invectiver tendrement. "Avec le printemps qui arrive, j’exige un livre de poèmes d’amour. Pas Keats ou Shelley, envoyez-moi des poètes qui peuvent parler d’amour sans pleurnicher"; et lui, toujours tellement courtois, lui répond: "Je suis désolé que nous n’ayons été en mesure de vous envoyer aucun des livres que vous avez demandés. Pour ce qui est du livre de poèmes d’amour, il nous arrive de temps en temps d’en avoir un qui corresponde à votre description. Pour le moment, nous n’en avons pas en stock mais nous allons en chercher un pour vous." En fait, que ne ferait-il pas pour plaire à sa nouvelle complice…

Belles pages
Ce récit attendrissant et plein d’esprit laisse toute la place à la passion des livres, qui sont leur raison de vivre, leur air frais, leurs plus beaux trésors. Et tous les aspects de la fabrication des livres sont abordés: leur reliure, le velouté des pages, leur préservation, et même des trucs pour nettoyer le tissu des reliures. Hanff fait état à son correspondant de ce qu’elle trouve dans les pages de garde, et commente gaiement l’apparence de ces objets adorés.

Le récit qui est tracé à travers cette chronique épistolaire est aussi celui de l’histoire littéraire anglaise, puisque chaque référence nous est donnée en notes de bas de page. On y côtoie entre autres les Stevenson, Leigh Hunt, Samuel Pepys, John Donne, George Bernard Shaw, Virginia Woolf, Jane Austen, à travers l’oeuvre de laquelle (Orgueil et Préjugé) Hanff découvre le genre romanesque, qu’elle ne lisait pas jusqu’alors.

Enfin, 84, Charing Cross Road constitue également un témoignage éloquent sur le statut de l’écrivain aux États-Unis, pendant les 20 ans que dure la correspondance. On ne sait pas tout, bien sûr, mais on apprend par exemple que Hanff vend une nouvelle au Harper’s Magazine 200 $ (en 1969); et que, comme beaucoup d’écrivains, hier ou aujourd’hui, elle était pauvre. "Tout l’argent que j’avais économisé pour aller en Angleterre va y passer, mais j’ai toujours été coincée toute ma vie dans des meublés minables avec des cuisines pleines de cafards et j’ai envie de vivre comme une dame."

Helen Hanff, en l’honneur de qui on a apposé une plaque de cuivre à l’emplacement de la librairie aujourd’hui fermée à Londres, verra avec étonnement, de son vivant, ce manuscrit devenir un livre-culte; et n’en reviendra pas que ses lettres aient pu intéresser autant de monde. Mieux: 84, Charing Cross Road a même été adapté au théâtre et au cinéma. "Helen Hanff, quant à elle, continue à vivre paisiblement dans son studio de la 72e Rue Est où les trésors bibliophiliques de Marks & Co. recouvrent un mur entier du sol au plafond. Au milieu de sa bibliothèque trône l’enseigne de la librairie dérobée pour elle par l’un de ses admirateurs", nous apprend Thomas Simonnet, en conclusion de l’ouvrage.

Une belle histoire qui finit mal, puisque l’auteure, comme dans les mauvais films, est morte à l’âge de 80 ans, seule et sans le sou.

84, Charing Cross Road
Helen Hanff
Éd. Autrement, 2001, 113 p.

84, Charing Cross Road
84, Charing Cross Road
Helen Hanff