Nicolas de Cues : Jean Bédard
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Nicolas de Cues : Jean Bédard

Avec Nicolas de Cues, on pourrait dire que Jean Bédard reprend un peu là où il avait laissé dans son célébré roman consacré à la vie de Maître Eckhart (Éd. Stock, 1998).

Avec Nicolas de Cues, on pourrait dire que Jean Bédard reprend un peu là où il avait laissé dans son célébré roman consacré à la vie de Maître Eckhart (Éd. Stock, 1998). Cardinal allemand né au début du XVe siècle, Nicolas de Cues fut en effet un disciple du théologien. Il tenta de réformer l’Église, prôna l’harmonie entre la science et la foi, ainsi que la réconciliation entre les religions à l’ère des guerres sanglantes entre chrétiens et musulmans, se fit le défenseur des pauvres à l’époque des luttes de pouvoir entre les autorités ecclésiastiques et séculières.

Curieux mélange de roman historique et d’essai théologique et philosophique, Nicolas de Cues fait le récit des échecs du cardinal (notamment son conflit avec la noblesse autrichienne), mettant en lumière une philosophie utopiste qui se lit maintenant comme une chance manquée pour l’Église…

Les luttes et la pensée du saint homme passent à travers un regard auquel on peut davantage s’identifier, celui de son secrétaire, Henri. Bédard peint d’une plume lyrique les questionnements, tourments et doutes de ce narrateur, un pessimiste hanté par le souvenir d’une tragédie, et qui, contrairement à son ami, n’est pas protégé des horreurs de son temps par le rempart de la foi et de l’espoir.

Les idées mises de l’avant par Nicolas de Cues s’incarnent parfois dans l’action: un prenant procès intenté à deux femmes pour sorcellerie, un récit évocateur de la chute de Constantinople aux mains des Turcs… Par contre, certains des débats théo-philosophiques, très élevés et passablement abstraits, qui nourrissent le livre risquent de passer par-dessus la tête des profanes. Ce roman empreint de mysticisme et d’érudition appelle en renfort des événements historiques et des notions pour lesquels je dois confesser mon ignorance. Un principe pourtant au coeur de la philosophie du cardinal, qui avait développé la doctrine complexe et indescriptible de la "docte ignorance". "C’est par l’apprentissage positif de l’incommensurabilité de notre ignorance que nous arriverons le mieux à la connaissance."

Souvent difficile d’accès, pas toujours bien incarnée, l’oeuvre de Jean Bédard est toutefois riche en enseignements, même pour les incroyants. Si j’ai bien compris, pour Nicolas de Cues, la divinité était d’abord une quête, l’Église devait se construire sur une incertitude toujours renouvelée et se garder de se figer dans des dogmes. Le cardinal soutenait aussi que les êtres de toutes les confessions pouvaient s’entendre sur "leur ignorance de Dieu". Beau plaidoyer contre les guerres de religion, qu’il ne serait pas inutile de méditer aujourd’hui…

Éd. l’Hexagone, 2001, 285 p.