Tomson Highway : Perdre le nord
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Tomson Highway : Perdre le nord

Premier roman de Tomson Highway, Champion et Ooneemeetoo raconte l’histoire de deux frères cris élevés loin des  leurs.

On aura attendu pratiquement six ans pour pouvoir lire dans sa traduction française Champion et Ooneemeetoo, premier roman au succès pourtant retentissant, lors de sa parution en 1998, du dramaturge cri manitobain Tomson Highway. Mêlant rêves, mythologie et période amère de l’histoire du peuple cri, inspiré également fortement par l’autobiographie, le texte révèle une rare beauté, grâce à des qualités de narration hors du commun, une puissance d’évocation et une sensibilité aux accents de réalisme merveilleux.

L’ouverture du récit est grandiose. Un coureur est mis à l’épreuve dans une course de traîneaux. Il a promis à sa famille qu’il arriverait premier, c’est une question d’honneur. De sa victoire naîtra au retour un enfant, Champion, dont la naissance nous est suggérée à travers un gigantesque saut dans l’univers. Ce nouveau fils symbolisera le lien entre les origines et la nouvelle mère patrie, représentée par une reine blanche qui remet au champion de la course son trophée (le titre de la version anglaise originale est d’ailleurs The Kiss of the Fur Queen).

Deux années plus tard naît Ooneemeetoo. Les deux frères grandissent ensemble dans une réserve, au milieu de la nature sauvage du Grand Nord manitobain. À six ans pourtant, ils en sont arrachés pour aller suivre l’enseignement de frères catholiques dans un pensionnat plus au sud de la province. Au fur et à mesure de cette expérience qui les oriente vers un avenir nouveau, loin des leurs et de leur culture d’origine, les deux enfants parviennent malgré tout à se tracer un itinéraire où, en grande partie grâce à l’art, l’un la musique, l’autre la danse, ils surmontent certains des écueils et des pièges que leur tend leur nouvelle patrie.

Hymne grandiose à la vie et à l’amour, et plus encore peut-être à la beauté permanente de l’art, le discours de Tomson Highway nous transporte par son récit davantage dans les hauteurs célestes que dans les profondeurs infernales, qui marquent pourtant parfois le destin des personnages. Avec un récit fortement imagé et un rythme d’écriture dynamique et maîtrisé, il réalise là un véritable coup de maître, non exempt de légèreté et de fraîcheur. Il nous invite à un total ravissement en même temps qu’à une œuvre de mémoire saisissante sur la souffrance et les situations abusives occasionnées par la colonisation peu souvent discutée du peuple cri. Peut-être à cause de cette authenticité qui l’habite, de cette sensibilité qui parcourt le roman sans jamais tomber dans la facilité, Champion et Ooneemeetoo se révèle d’une poésie rare, qui porte loin. Fort heureusement, la traduction de Robert Dickson est à la hauteur de cette œuvre remarquable.

Champion et Ooneemeetoo
de Tomson Highway
Éd. Prise de parole, 2004, 353 p.