Annie Chrétien : Battre de l'aile
Livres

Annie Chrétien : Battre de l’aile

Le premier roman d’Annie Chrétien laisse entrevoir de bien belles choses, mais il y a décidément beaucoup de sable dans l’engrenage.

Les premières pages de La Volière nous avaient plu à tel point que nous avions consacré un portrait "À surveiller" à son auteure dans notre spécial rentrée, il y a deux semaines. Annie Chrétien a une plume riche et une profondeur littéraire indéniable, cette conviction demeure au terme de la lecture, mais force est d’admettre qu’elle s’est complètement perdue en chemin.

Le projet est ambitieux, il faut dire. Sans chercher à installer de véritable fil dramatique, la jeune romancière nous raconte la plongée dans l’étrange et la folie d’un traducteur de métier, auteur raté, dont la femme est tantôt celle qui castre le créateur en lui ("Femme pleine de poison. Mauvais présage, purulence, vomissure"), tantôt l’incarnation de la vie d’avant et qu’il voudra retrouver ("Il voulait s’installer au salon avec une bière mousseuse et des bretzels pendant que sa femme chercherait la télécommande").

Le projet s’articule autour d’une série de tableaux où apparaîtront tour à tour des "rameurs", créatures inquiétantes – un nain jaune à l’odeur repoussante, une fillette au corps à moitié brûlé, un jeune suicidé "étonné de se retrouver du côté des vivants"… – dont on ne sait trop si elles sont issues du rêve ou de la réalité ("Était-il dans la vie ou dans sa tête?"), et dont on espère en vain qu’elles nous conduiront à la résolution de quelque énigme.

Chacun pourtant ne fait qu’ajouter au mystère, "un éclopé de plus dans le canot surpeuplé de malheurs", tandis que le traducteur voit s’effacer tout autour les traces d’une vie certes banale, mais à laquelle il s’accroche: "L’omniprésence de l’étrange. Cette vie ne semblait plus être la sienne. Aspiré par l’insolite, s’enfonçant toujours un peu plus, le traducteur n’avait plus la force de résister, de croire à autre chose – mais assez tout de même pour vouloir que tout cesse."

Ce portrait d’homme en proie à des visions féroces, qui fera par moment penser au Festin nu de Burroughs, intrigue le lecteur, le séduit parfois, mais ne parvient jamais à donner une consistance suffisante au monde esquissé. On comprend par bribes où la romancière veut en venir; on entrevoit des bouts de la vie du traducteur qui ont précipité son délire, or la langue éclipse l’essentiel à force d’intentions trop marquées et de pirouettes. En outre, on se lasse vite de ces répétitions par grappes de trois, obéissant certainement à une volonté stylistique mais souvent proche du pléonasme: "Tout abandonner, lâcher prise, laisser faire", "Inspirer profondément, ne pas s’énerver, rester calme".

Et pourtant, et pourtant, une franche audace qui nous donne envie de garder un oeil sur la trajectoire littéraire d’Annie Chrétien.

La Volière
d’Annie Chrétien
Éd. L’instant même, 2008, 150 p.

La Volière
La Volière
Annie Chrétien
L’instant même