Hervé Guibert : Écrire dans la marge
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Hervé Guibert : Écrire dans la marge

Dix-huit ans après la mort d’Hervé Guibert, Gallimard nous offre Articles intrépides, une sélection de reportages que l’écrivain français a publiés dans Le Monde de 1977 à 1985, soit alors qu’il était âgé de 22 à 30 ans.

Précisons d’emblée que ce florilège, qui fait suite à la publication il y a 10 ans de La Photo, inéluctablement, un recueil d’articles concernant la photographie, Hervé Guibert avait voulu qu’il paraisse. Nous ne sommes clairement pas en présence d’un fond de tiroir. Plus de 20 ans après leur parution initiale, on lit ces reportages écrits pour Le Monde comme de passionnantes enquêtes, des instantanés qui non seulement cristallisent l’esprit des années 80, mais qui laissent aussi entrevoir l’oeuvre littéraire – mentionnons La Mort propagande, Les Aventures singulières, Les Chiens, Les Lubies d’Arthur et L’Homme blessé, le scénario du film de Patrice Chéreau – que le jeune homme commence à construire en parallèle.

Dans un bref article sur le mythe américain, 10 ans avant que ne paraisse À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Guibert, que le sida a emporté en 1991, nous bouleverse en écrivant: "Enfant, j’avais rêvé d’Afrique, et quand j’eus l’occasion d’y aller, je fus bien déçu. Je rêve toujours de l’Amérique, et je me suis toujours refusé à y aller car je veux garder cette part de rêve, la dernière; intact, intouché, ce territoire extrême. Quand j’étais petit, souvent, en pensant à un corps désiré et en me tassant dans un coin de mon lit pour lui laisser une place imaginaire, je me disais: "Quand j’aurai ce corps-là, pour de bon, dans mes bras, je n’aurai plus qu’à mourir." J’ai pu obtenir, fugitivement, des copies à peu près conformes de ce corps rêvé, et je n’en suis pas mort, foudroyé, dès la première fois. Malheureusement."

Avec insolence, parfois même avec une certaine cruauté, mais aussi avec beaucoup d’humour, les textes (reportages, critiques et entretiens) parlent de cinéma (Maurice Pialat, Andreï Tarkovski, Leos Carax, Isabelle Adjani, Bulle Ogier), d’arts visuels (Francis Bacon, Balthus), de danse (Pina Bausch), de musique pop (Dalida, Étienne Daho), de théâtre et d’opéra (Bernard-Marie Koltès, Patrice Chéreau). On goûte partout dans ces pages l’intarissable curiosité du jeune homme pour ce qui grouille autour de lui. Quel guide extraordinaire il était. Une véritable tête chercheuse.

Critique avisé, prodigieusement érudit, surtout pour son âge, il était aussi particulièrement sensible, à même de transmettre son émotion, de la traduire dans une prose délicieuse, flamboyante mais rigoureuse. On croirait entendre ce qui se cache derrière les déclarations, voir ce qu’il y a sous la surface des tableaux, apercevoir ce qui vibre au fond du regard figé d’une statue de cire. Au cours de ses expéditions, l’écrivain était capable d’embrasser le sublime et l’abject, la vie et la mort, puis, à son retour devant la page blanche, de restituer tout cela sans jugement. Si bien qu’on s’y croirait, même toutes ces années plus tard.

Articles intrépides 1977-1985
d’Hervé Guibert
Éd. Gallimard, 2008, 384 p.

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Hervé Guibert
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