Gabriel Trujillo Muñoz : Des feux mal éteints
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Gabriel Trujillo Muñoz : Des feux mal éteints

Avec Tijuana City Blues, le Mexicain Gabriel Trujillo Muñoz donne le coup d’envoi de "3/4 polar", la nouvelle collection des Allusifs.

La tendance se maintient: il y a décidément un petit phénomène polar actuellement au Québec. Ou plus exactement, un phénomène petit polar, roman de gare à boire cul sec, un registre dans lequel les Éditions Coups de tête, fondées par Michel Vézina il y a deux ans, font figure de précurseur.

Les Allusifs, excellente maison spécialisée dans la littérature étrangère et le roman bref, se lancent dans la mêlée. Avec la collection "3/4 polar", dont la pâle jaquette éclaboussée de sang excitera assurément les fous d’hémoglobine, Les Allusifs entendent nous faire découvrir des auteurs des quatre coins du monde. On nous promet de l’action, de l’intrigue et du meurtre, mais aussi un niveau littéraire soutenu (d’où le "3/4", déduisons-nous). Une équation à laquelle sied parfaitement le travail de l’écrivain mexicain Gabriel Trujillo Muñoz, qui inaugure la collection avec pas moins de trois titres: Tijuana City Blues, Loverboy et Mexicali City Blues.

Penchons-nous sur le premier. Quand un ouvrier qui travaille chez lui l’aborde pour lui parler d’une affaire, l’avocat Miguel Ángel Morgado est loin de se douter que l’affaire en question va le mener sur la piste de trafiquants de drogue en Basse-Californie, au début des années 50, et encore moins sur celle de William S. Burroughs et autres écrivains de l’époque en vadrouille au Mexique. Le voilà bientôt à fouiller le dossier de l’auteur du Festin nu, reconnu coupable en 1951 d’avoir, par accident, flingué sa propre femme. Burroughs, désemparé et endetté par ses frais d’avocats, aurait ensuite été aidé par un certain Timothy Keller et mêlé avec lui à une histoire de trafic d’héroïne ayant mené à une fusillade dans un bar de Tijuana. Timothy Keller, c’est le père de l’ouvrier, ce père volatilisé après la fusillade et dont il veut connaître l’histoire.

Aidé par des personnages hauts en couleur et pas toujours recommandables – dont une historienne en permanence furibonde, un agent du FBI rusé mais pas exactement sympathique, un ancien pianiste de jazz aujourd’hui amputé des deux jambes mais à la langue toujours bien pendue et à l’esprit tordu -, Morgado va remonter le temps et la mémoire de Tijuana, cité de Basse-Californie à la réputation sulfureuse, "ville de la fête et de la violence, reine incontestée du tapage".

Le juriste, on s’en doute, n’est pas au bout de ses peines. On ne réveille pas impunément le passé qui dort, qui plus est s’il dort dans la poudre et le sang. Mais Morgado, habitué des annales judiciaires mexicaines, en a vu d’autres… "Incinérer le passé afin de pouvoir lui donner la forme qui nous chante, de sorte que les crimes soient oubliés et que les affaires continuent de tourner. Pour ce qui est d’ensevelir profondément nos morts, d’enterrer tout ce qui nous dérange, nous sommes les meilleurs."

Un 3/4 pleinement satisfaisant, qui augure bien pour la branche noire des Allusifs.

Tijuana City Blues
de Gabriel Trujillo Muñoz, trad. de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli
Éd. Les Allusifs, coll. "3/4 polar", 2009, 96 p.

Tijuana City Blues
Tijuana City Blues
Gabriel Trujillo Muñoz
Les Allusifs