Kéthévane Davrichewy : Un air du Caucase
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Kéthévane Davrichewy : Un air du Caucase

Kéthévane Davrichewy signe un roman inspiré par les destinées de la diaspora géorgienne de Paris dont elle est originaire.

Alors que l’on s’apprête à célébrer ses 90 ans, Tamouna se remémore, entre deux bouffées d’air fournies par son appareil à oxygène, les étapes-clés de son existence: jeunesse heureuse dans la maison familiale de Tbilissi, exil en France au début de l’occupation russe, exécution de son père retourné combattre les bolchéviques, son propre mariage avec un autre enfant d’émigrés… Mais c’est son amour d’adolescente pour Tamaz, rencontré durant les vacances familiales à Batoumi, sur la mer Noire, puis réfugié lui aussi en France, qui revient la hanter avec le plus d’acuité. Tamouna se rappelle ainsi chacune de leurs brèves rencontres, parsemées au fil des décennies. Et voilà que, perdu de vue depuis des années, Tamaz a appelé pour dire qu’il serait présent à la fête. Tiendra-t-il sa promesse?

Entrée en littérature par le biais de contes inspirés de ses racines géorgiennes, Kéthévane Davrichewy a maintenant choisi d’aborder dans un roman la question de l’exil qui a marqué sa propre histoire familiale. Née en 1965 à Paris où ses grands-parents s’étaient installés après avoir fui le pays natal à l’arrivée des bolchéviques, l’écrivaine s’est donné comme défi d’adopter le point de vue de la première génération d’exilés, celle ayant vu ses enfants et petits-enfants naître sur la terre d’accueil, marier des Français, entretenir une autre forme de rapport avec la Géorgie originelle… Le résultat, traité avec sobriété et sensibilité, s’avère bouleversant, sans compter que c’est un peu toute l’histoire du vingtième siècle qui passe par le destin de cette Tamouna, dont l’une des plus grandes affections reste celle qu’elle entretient avec une amie juive d’origine russe, Nora, perdue de vue durant la guerre, retrouvée par la suite.

Tandis que Tamouna, fatiguée par la maladie, n’espère que la venue de son ancien amant, l’odeur des khatchas et des lobios cuisinés par sa fille envahit l’appartement, odeur du pays qui accueille la cinquantaine d’invités qui finissent graduellement par se présenter chez la vieille dame. Kéthévane Davrichewy se livre alors au vibrant portrait de cette colonie en exil. Une colonie intégrée à la terre d’accueil mais n’ayant pas perdu ses traditions, grossie par l’arrivée régulière de nouveaux émigrés, unie dans la nostalgie d’une patrie perdue mais divisée entre ceux qui parlent de la revoir et ceux qui jurent ne jamais y remettre les pieds. Un monde extraordinairement vivant, humain, largement dominé par l’élément féminin, que l’auteure parvient à rendre avec amour et finesse.

La Mer Noire
de Kéthévane Davrichewy
Sabine Wespieser Éditeur, 2010, 214 p.

La Mer Noire
La Mer Noire
Kéthévane Davrichewy
Sabine Wespieser