Dominique Fortier : Longueur d'onde
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Dominique Fortier : Longueur d’onde

Après nous avoir conduits aux confins de l’Arctique et ses rigueurs, Dominique Fortier signe une oeuvre polyphonique, où la vie comme l’amour sont à la merci des fureurs de la terre.

Avoir une bonne étoile c’est bien, encore faut-il en faire bon usage. Patiente, exigeante, perméable aux joies du succès mais consciente qu’en littérature, la partie n’est jamais gagnée d’avance, Dominique Fortier ne brûle pas les étapes. Entre ses travaux de traductrice, le suivi qu’exige une jeune oeuvre dont les droits se négocient désormais sur le marché international et l’adaptation en chantier, avec le concours du cinéaste Jean-Marc Vallée, de son premier roman Du bon usage des étoiles, la romancière n’a pas pris la suite des choses à la légère. Aussi nous livre-t-elle un deuxième titre, Les Larmes de saint Laurent, impressionnant de maîtrise, véritable triptyque dans lequel s’organise tout un système de résonances.

À la question "Quel a bien pu être le point de départ d’une telle entreprise?", elle nous étonne. "En fait, c’est Jeopardy!. Le quiz télé, oui, oui… Je suis tombée sur un bout de l’émission, une fois, et la réponse à l’une des questions était "Love waves". Je n’avais aucune idée de ce que c’était, mais je trouvais la formule magnifique. En apprenant sa signification, j’y ai vu une image très forte. J’étais étonnée de ne jamais en avoir entendu parler, d’ailleurs; de ne pas en avoir entendu parler cette année, entre autres."

Sans révéler complètement ce qui représente l’un des beaux punchs du roman, disons simplement qu’au-delà de son évidente poésie, la formule n’est pas sans lien avec le legs d’un mathématicien britannique, Augustus Edward Love (1863-1940), spécialiste des mouvements de la croûte terrestre auquel est consacrée la deuxième partie des Larmes de saint Laurent. "Le portrait que j’en fais, ceci dit, est tout droit sorti de mon imaginaire. Pour écrire Du bon usage des étoiles, je m’étais astreinte à une fidélité aux documents existants, aux listes d’équipage et listes d’équipement de l’expédition de John Franklin. Cette fois, au-delà de certaines données de base, j’ai inventé beaucoup, probablement parce que je me fais davantage confiance maintenant. On a le droit de faire ça, non?"

Du moment qu’elle nous sert d’aussi fabuleuses histoires, on lui donne tous les droits, à Dominique Fortier.

Hasard ou coïncidence

On mentionnera beaucoup, ces prochains jours, la paradoxale actualité de ce roman, dont le premier segment est quant à lui dédié à Baptiste Cyparis, personnage historique lui aussi, seul survivant de l’éruption de la montagne Pelée, en Martinique, le 8 mai 1902. "Un volcan, des ondes sismiques, oui, je sais… J’ai d’ailleurs tenu à inclure cette note, à la fin, disant clairement que j’avais terminé le texte avant le 12 janvier 2010!" Voilà pour le hasard, ou la coïncidence. "Quant à Baptiste, c’est un peu un fantôme, ce personnage. Oui, il survit à une éruption qui dévaste la ville entière, mais il ne survit pas complètement. Il veut toujours se fuir un peu lui-même, il demeure victime des événements."

Encore là, si elle brode autour de sources selon lesquelles Cyparis aurait été enrôlé par le cirque américain Barnum & Bailey, elle s’accorde bien des libertés. "Le vrai travail de création, c’est le bout qu’on ne contrôle pas, c’est être à l’écoute de ce que le livre veut. Il ne faut pas écrire ce qu’on a envie d’écrire, mais plutôt ce dont le livre a besoin."

La troisième partie, qui se déroule de nos jours à Montréal, Dominique Fortier avait d’ailleurs plus ou moins envie de l’écrire. Jamais n’avait-elle travaillé un sujet aussi proche d’elle, faut-il dire, un sujet qui demandait une implication aussi directe. "Et puis je ne savais pas exactement comment tout ça allait s’emboîter avec le reste."

Mais le miracle fut. Parce que le livre l’exigeait, sans doute.

Les Éditions Alto, qui célèbrent leur cinquième anniversaire cette semaine, pouvaient difficilement rêver d’une bougie plus lumineuse.

Les Larmes de saint Laurent
de Dominique Fortier
Éd. Alto, 2010, 344 p.

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Les Larmes de saint Laurent

Trois histoires, ancrées dans trois milieux on ne peut plus différents, qui pourtant se répondent par-delà l’espace et par-delà le temps. Voilà de quoi est fait le deuxième roman de Dominique Fortier, devant lequel on n’hésite pas longtemps à employer l’expression pourtant galvaudée de tour de force. Des rives martiniquaises d’il y a un siècle au Montréal d’aujourd’hui, en passant par l’Angleterre victorienne, Les Larmes de saint Laurent représente un voyage exquis, pour lequel de très nombreux lecteurs devraient s’embarquer.

Les Larmes de saint Laurent
Les Larmes de saint Laurent
Dominique Fortier
Alto