Marina Endicott : Bonté divine
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Marina Endicott : Bonté divine

Les Éditions du Boréal publient la première traduction française d’un roman de Marina Endicott: Charité bien ordonnée. Dans ce texte d’une profonde humanité, l’écrivaine canadienne s’interroge sur les motivations parfois égoïstes du bien.

Clara Purdy est en train de songer "à l’état de son âme" au moment où sa voiture en frappe une autre sur une petite route de la Saskatchewan. Responsable de l’accident, elle traversera un bref état d’hébétement en voyant s’extirper de l’autre véhicule une famille au grand complet: père, mère, trois enfants et grand-mère, tous blessés et plus ou moins sanglants, qu’elle accompagnera à l’hôpital. Là-bas, les médecins ne constateront que des séquelles mineures, mais tandis que la mère, Lorraine, ne semble pas reprendre du mieux, des tests supplémentaires révéleront la présence d’un grave cancer non encore diagnostiqué, un lymphome au stade avancé qui laisse peu d’espoir à la malade.

À partir de là, tout ira très vite dans la tête et dans la vie de Clara. Apprenant que cette famille pauvre, dont le père était en quête de travail, vivait littéralement dans sa voiture, la célibataire de 40 ans décidera d’inviter tout le monde à vivre dans la maison héritée de ses parents où elle loge seule depuis des années. Le choc des voitures laisse ainsi place à celui des mondes (voire des classes), tandis que les membres de la petite tribu défavorisée s’adaptent graduellement au mode de vie de Clara et à la culture de banlieue où ils sont subitement transplantés, sans Lorraine qui est restée à l’hôpital. Et c’est lorsque le père s’enfuira avec son argent et sa voiture, la laissant seule avec les enfants et la grand-mère qu’elle soigne avec dévouement, que Clara aura l’étrange impression d’avoir enfin un sens à sa vie.

Souvent comparée à d’autres romancières anglo-saxonnes qui, de Jane Austen à Carol Shields, en passant par Barbara Pym, ont su peindre avec finesse les familles de petites communautés tissées serré, l’Albertaine Marina Endicott semble se plaire dans un univers on ne peut plus protestant sur lequel règnent des vieilles filles aux caractères de fer, piliers de l’Église locale. Un prêtre anglican complète d’ailleurs la distribution des personnages de ce roman: abandonné par sa femme au début de l’histoire, il développera un sentiment romantique envers sa paroissienne dont la subite générosité l’inspire jusque dans ses sermons.

Roman presque anachronique par son propos, pétri de références à la littérature anglaise et dont l’humour fin peut rappeler celui d’une Gabrielle Roy, Charité bien ordonnée pose essentiellement la question du don de soi. Fait-on le bien pour les autres ou, en partie, pour soi-même, pour répondre à des motivations d’ordre personnel? Ravie de troquer sa petite existence rangée contre une véritable vie de famille qui condamne sa maison au désordre, Clara se rendra bientôt compte de l’égoïsme de son nouveau comportement, considéré comme héroïque par son entourage. Seule Lorraine, saisissant peu à peu les motivations de cette étrangère qui la remplace auprès de ses enfants, sera à même de la comprendre. L’animosité qui se développera graduellement entre les deux femmes illustre par ailleurs merveilleusement toute la complexité de l’être humain que présente ce livre curieux, dépourvu de tout manichéisme.

Charité bien ordonnée
de Marina Endicott
Traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Éd. du Boréal, 2010, 490 p.

Charité bien ordonnée
Charité bien ordonnée
Marina Endicott
Boréal