Gil Courtemanche : Professeur de désespoir
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Gil Courtemanche : Professeur de désespoir

Dans Je ne veux pas mourir seul, des médecins prédisent à Gil Courtemanche une mort imminente. Cancer. Lui se meurt pourtant d’autre chose.

Gil Courtemanche se demandait dans Une belle mort pourquoi maintenir un homme rongé par la maladie en vie quand il ne peut plus en jouir. À quoi bon continuer quand on ne peut plus manger de foie gras?

Quoi faire alors quand à l’annonce de sa propre mort s’ajoute le départ de celle à qui on aimait cuisiner un rognon à la moutarde, s’interroge-t-il dans Je ne veux pas mourir seul. Le journaliste porté aux nues pour Un dimanche à la piscine à Kigali y dissèque sans la moindre trace de pudeur sa relation avec Violaine, jeune femme qui rompt avec lui par courriel la semaine même où tombe un pronostic de cancer.

Se déployant en de courts chapitres coiffés en alternance des sous-titres "La Vie" et "La Mort", le livre redit justement la décrépitude du corps, l’humiliation des jaquettes d’hôpital et la froideur des médecins qui soignent en techniciens. L’écrivain revisite parallèlement son ancienne vie avec Violaine, tâchant d’isoler ses propres manquements, lâchetés et veuleries dans un style itératif typique de l’autofiction dont la couverture se réclame. La vraie mort n’a rien à voir avec le cancer, répète Courtemanche comme un masochiste mantra.

"La Vie", inventaire des moments de grâce vécus avec Violaine, d’une réelle beauté quand il met en lumière une femme dont l’élégance radieuse rejaillissait sur son homme, donne également dans l’autoflagellation, d’abord digne de l’adolescent éconduit quand l’éperdu relit méthodiquement le courriel fatal, puis d’un pathétique réellement douloureux quand il invente par l’écriture la naissance de l’enfant qu’il n’aura jamais offert à l’amoureuse en-allée.

L’auteur revendique son droit au malheur et s’applique à mettre en miettes l’omniprésent et spécieux discours de la résilience et du "bonheur que l’on choisit". Son entreprise s’avère en ce sens salutaire; le temps ne cicatrise pas les balafres de l’amour, on ne sort pas de tout indemne. Scruter Courtemanche-le citoyen du monde, le consultant auprès du procureur de la Cour pénale internationale de La Haye dans un tel dénuement met cependant parfois mal à l’aise. Qu’il arrive aussi tardivement aux bonheurs de la vie de couple, on peut le concevoir. Qu’il se vautre dans le désespoir agace toutefois par moments. On ne révoquera certes pas à l’écrivain le droit de dire son malheur, de s’y engouffrer même, mais certaines pages suintent trop le besoin personnel de compenser un passé d’homme distant et défiant.

"C’est aussi pour ce con, cet imbécile, cet idiot que je fus que j’écris. Peut-être lui, ou un autre comme lui, nous sommes nombreux, lira-t-il ce petit livre et se mettra-t-il à la tendresse et à l’amour avant qu’il ne soit trop tard et qu’il ne reçoive comme moi son congédiement par courriel", souhaite-t-il en imaginant un homme qui refuse d’embrasser sa femme en public. Conseil éclairé, qu’on aurait sincèrement aimé que Courtemanche reçoive alors qu’il n’était pas trop tard.

Je ne veux pas mourir seul
de Gil Courtemanche
Éd. du Boréal, 2010, 168 p.

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Je ne veux pas mourir seul
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Gil Courtemanche
Boréal