Rachel Leclerc : Réveiller les morts
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Rachel Leclerc : Réveiller les morts

On connaît de Rachel Leclerc sa poésie finement ciselée, sa voix caressante et forte comme le vent du large et son affection pour la Gaspésie. Son nouveau roman, joliment intitulé La patience des fantômes, continue de polir la pierre précieuse d’une oeuvre dont la qualité ne se dément pas.

Ici, elle emprunte la voix de Richard, un écrivain en retraite chez sa nièce Émilie souffrant d’un cancer, aux alentours de Rimouski. Son prochain roman, Richard veut le construire à partir des événements marquants et tabous qui ont ponctué l’existence de son grand-père Joachim et de ses descendants. Entre alcool et déveines, du Nouveau-Brunswick à Montréal, les Levasseur sont décimés par les morts, les disparitions et le désamour. Émilie parle d’une malédiction lancée à l’ancêtre par un associé malheureux, Richard fait le portrait d’une famille blessée par chacun.

Ainsi se confondent le roman de Leclerc et celui de l’écrivain en une galerie de personnages dont les tableaux successifs finissent par avoir du sens, et qui touchent par leur humilité. "Puisque nous allons tous mourir, puisque tout est perdu d’avance, pourquoi ne pas consacrer une partie du temps qu’il reste à l’accomplissement de choses inutiles – inutiles en apparence mais nécessaires et salutaires en vérité – attendu qu’il n’est pas plus louable ni plus profitable de bâtir un énième immeuble d’appartements, de rouler des sushis aux couleurs psychédéliques ou d’officier comme douanier à la frontière canadienne que de relater les hauts faits d’un ancêtre ou les travers de sa descendance." Jusqu’à la fin, l’écrivain aura du mal à se départir du sentiment de culpabilité qui le dispute à son besoin de mémoire.

Car Richard dresse un portrait sans complaisance de ceux qui sont les siens: son ivrogne de père menaçant femme et enfants de sa hache, sa soeur sans coeur qui fugue avec leur jeune frère sans plus jamais donner de nouvelles, tout cela ne les fait pas se retourner dans leur tombe, mais les fait vivre à nouveau. Cet ersatz de vie qu’insuffle l’écriture, c’est probablement ce qu’on peut espérer de mieux, "nous qui sommes une combinaison de molécules, un frêle sentier génétique composé d’événements plus ou moins cruciaux et plus ou moins mémorables".

La plume de Leclerc fait des miracles pour évoquer le temps perdu et le quotidien gaspésien du siècle dernier fait de pêche aux "coques", de "cabotage" et de nuits passées sous des couvertes de laine rugueuse. D’une femme trop bonne, elle dira qu’elle est "faite en velours et en poils de chats", prouvant au passage que la poésie trouve sa voix par les mots ordinaires. Cette habileté se bute en revanche aux dialogues qui sont trop écrits pour sonner vrai. Le dénouement se fait un peu long et il arrive qu’une scène nous rappelle Les filles de Caleb, mais ces petits tracas ne gâchent pas la lecture.

En somme, La patience des fantômes ne décevra pas ceux que le passé intéresse encore. Car le passé est en nous, encore faut-il savoir le lire.

La patience des fantômes
de Rachel Leclerc
Éd. du Boréal, 2011, 264 p.

La patience des fantômes
La patience des fantômes
Rachel Leclerc
Boréal