Élise Turcotte : Chasse aux fantômes
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Élise Turcotte : Chasse aux fantômes

Élise Turcotte explore les liens probables entre les deuils et la pulsion de vie qui parcourent l’existence d’une mère et de son fils.

Dès le lendemain de la mort de Rudi, sa veuve Ana et son fils Philippe vont se faire couper les cheveux par la petite Kimi, nouvellement installée dans leur quartier. Souriante, pleine de gaieté, la coiffeuse décèle le malheur de ces gens en deuil dans leurs moindres gestes qui lui semblent "reculés", "restés pris dans une impasse". Par son comportement calme et silencieux, elle parviendra à gagner leur confiance, la mère se plaisant à la regarder modeler la tignasse de son fils, un moment de pure paix qui lui permet de "recadrer son monde sur une petite scène où les gestes sont précis".

Lorsqu’elle apprendra la mort de la coiffeuse, retrouvée pendue dans le salon un beau matin, Ana développera une véritable obsession: comprendre cette mort qui a toutes les allures d’un suicide mais qui, selon elle, ne peut en être un. Elle rejettera encore plus cette thèse retenue par la police après avoir fait la rencontre de Wilson, fiancé de Kimi et trafiquant de drogue qui semble cacher quelque chose. Retrouvant son instinct de journaliste, Ana tente alors de retracer la vie de la jeune immigrante guyanaise, étrange quête aux yeux de l’inspecteur chargé de l’affaire et qui va jusqu’à faire dire à la narratrice: "J’avais besoin de ce meurtre pour vivre tout à fait."

C’est à travers l’histoire de cette femme et de son enfant qui évoluent dans leur deuil en se surveillant l’un l’autre qu’Élise Turcotte explore à nouveau le territoire de la mort, de l’inquiétude et de l’"intranquilité" (pour reprendre le néologisme de Pessoa). Vingt ans après Le Bruit des choses vivantes, son premier roman, et après avoir récemment signé un recueil de récits intitulé Pourquoi faire une maison avec ses morts, Guyana se dévoile comme un faux polar tout entier consacré aux rapports entre vie et mort. Faisant alterner les narrations différentes d’Ana et de Philippe, Turcotte y illustre également toute la complexité des relations familiales.

Découvrant que Kimi avait onze ans lorsqu’eut lieu au Guyana le faux "suicide collectif" de Jonestown où les corps de centaines d’adeptes de la secte du révérend Jim Jones furent retrouvés couchés sur le ventre, face contre terre, Ana associe ses souvenirs personnels de violence – jusqu’ici cachés à son fils – à ce célèbre massacre ayant marqué son imaginaire. Mais y a-t-il véritablement des liens à tracer entre tout ça? C’est ce que demande aussi Élise Turcotte: "Il y a bien un enchaînement d’événements, il y a des éléments brillants sur la toile du temps. Il y a une femme qui meurt, une autre qui survit. Il y a des fantômes nous faisant des signes muets. […] Mais ce qu’il n’y a pas, c’est une explication satisfaisante, une réponse absolue et définitive."

C’est ce que dévoilera, notamment, la finale étonnante et désespérante de ce fort beau Guyana.

Guyana
d’Élise Turcotte
Éd. Leméac, 2011, 174 p.

Guyana
Guyana
Élise Turcotte
Leméac