Correspondances d'Eastman : La passion selon Louise
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Correspondances d’Eastman : La passion selon Louise

Louise Portal et Alexis Martin décachettent la Lettre d’une inconnue de Stefan Zweig 90 ans après sa rédaction enfiévrée, une plongée en apnée dans les profondeurs de la passion.

À bien y regarder, faire le décompte des femmes consumées par d’indomptables désirs auxquelles Louise Portal a donné un visage incandescent au petit et au grand écran équivaut un peu à faire le décompte des plus grands rôles de Louise Portal. De Diane, l’intellectuelle qui, dans Le déclin de l’empire américain, s’illumine à la simple évocation des sauvages tendresses que lui fait subir ce rustre de Mario, jusqu’à Sue, cinquantenaire qui achète dans Vers le sud l’affection de jeunes Haïtiens, l’actrice incarne dans l’inconscient collectif la femme incapable de tenir en bride ses pulsions les plus déraisonnables.

Rien de surprenant à ce que l’épistolière au bord du précipice à laquelle elle prêtera sa voix dans Lettre d’une inconnue, mise en lecture par Alexis Martin d’une nouvelle de l’écrivain autrichien Stefan Zweig présentée lors des Correspondances d’Eastman, lui soit familière. "Qui n’a pas déjà connu une passion qui appelait l’attente et un certain désespoir intérieur? Les jeunes vingtenaires et trentenaires dans mon entourage vivent encore des passions amoureuses exacerbées, d’ailleurs. Les années passent, mais la passion demeure fulgurante", assure-t-elle.

Souhaitons de tout notre coeur aux jeunes romantiques d’aujourd’hui de ne pas s’abîmer dans une passion à sens unique aussi dévastatrice que celle qui tirera vers le fond l’auteure de cette lettre postée à un écrivain célèbre pour qui elle aura entretenu toute sa vie, sans jamais oser l’avouer, un amour obsessif. "C’est ce secret-là qui donne un sens à son existence", suggère la comédienne qui montera sur scène pour une première fois avec Martin. "Elle sait que si elle se révélait à cet homme-là, elle serait répudiée. Elle sait qu’il est un peu frivole. Elle lui répète quand même tout au long de la lettre, comme un leitmotiv: "Tu ne m’as jamais reconnue.""

Ce tyrannique besoin de se mirer dans les yeux de l’autre continuerait de gruger de l’intérieur les amoureuses ignorées, observe Mme Portal. Anecdote: "Les gens ont besoin de sentir qu’ils sont importants pour quelqu’un. L’autre jour au cinéma, j’observais une jeune fille assise pas loin de moi. Elle avait envoyé un texto et ne cessait de vérifier si elle avait reçu une réponse. Elle vérifiait, vérifiait, vérifiait encore quelques secondes avant le début de la projection. Je me demandais: "Mais qu’est-ce qu’elle peut bien attendre?" Elle avait sans doute cette soif d’être reconnue par quelqu’un."

ÉTERNELLE ÉPISTOLIÈRE

Qu’elle soit porte-parole officielle ou officieuse, Louise Portal mord chaque été dans ses Correspondances d’Eastman. Il faut voir pendant le week-end la fière Eastmanoise butiner de jardin d’écriture en café littéraire, boire les paroles de chacun des écrivains invités ou passer en coup de vent au bistro Les Trois Grâces saluer les amis de Montréal qui séjournent au village le temps d’une des rares manifestations littéraires où auteurs de best-sellers (Francine Ruel), voix singulières de la nouvelle littérature québécoise (Nicolas Dickner) et tout ce qui se trouve entre les deux confrontent dans un esprit de camaraderie leurs visions d’un même métier. Un des rares événements où vous êtes toujours à quelques hasards près de partager un petit verre de rouge avec votre écrivain favori.

"Chaque année, je vais toujours au moins dans une chambre d’écriture pour rédiger des lettres, c’est mon plaisir et mon délice", confie la porte-parole de cette 10e édition baptisée "Le bal des lettres et des arts", étant donné les nombreux artistes appartenant à d’autres disciplines que la littérature qui s’y exprimeront (dont le réalisateur Francis Leclerc, le chorégraphe Paul-André Fortier et le fou du roi Jici Lauzon). "Je trouve ça tellement beau d’aller chez les gens, de pouvoir accéder à leur sanctuaire personnel. Je sais déjà que je vais écrire à mes amis en France. J’écris à mon mari parfois aussi et, pourtant, je vis avec lui. Recevoir une lettre, c’est devenu quelque chose d’assez rare, c’est un cadeau."

"Toutes les lettres que vous allez écrire, leurs destinataires les garderont pour toujours. Moi, vous savez, j’ai une lettre très précieuse de François Truffaut. Je l’avais rencontré en 1982 à Montréal et je lui avais ensuite fait parvenir mon premier livre, Jeanne Janvier, à Paris. Il m’a renvoyé une lettre magnifique que je chéris encore aujourd’hui."

Lettre d’une inconnue
Le 10 août à 20h
Au Théâtre La Marjolaine

Les Correspondances d’Eastman
Du 9 au 12 août