Eric Dupont / La fiancée américaine : Symphonie du Bas-du-Fleuve
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Eric Dupont / La fiancée américaine : Symphonie du Bas-du-Fleuve

Eric Dupont signe un remarquable et ambitieux morceau: La fiancée américaine, ou la folle aventure du 20e siècle vue par une famille québécoise plus grande que nature.

Le romancier Eric Dupont avait bien préparé le terrain avec ses précédents romans (Voleurs de sucre, La logeuse et Bestiaire), qui faisaient déjà une belle place aux vies baroques et rocambolesques, croisements d’Histoire, de fables et de légendes, pour aboutir à ce monument. Magistrale fresque épique, La fiancée américaine traverse le 20e siècle à partir d’un clan de Rivière-du-Loup, de la naissance du patriarche, le Cheval Lamontagne, homme fort aux États-Unis, puis croque-mort, fils d’une Américaine décédée à sa naissance, jusqu’à une école catholique de Toronto où un professeur d’éducation physique se lie avec une future chanteuse d’opéra, puis à Berlin, en 1999, en Prusse orientale durant le règne hitlérien, à Rome, New York, suivant les incroyables destins de cette famille colorée.

D’une architecture faite de motifs récurrents, entrelacs et cycles qui se répètent et tissent des liens souterrains entre chacun des protagonistes, cette épopée construit une symphonie où les lois de l’histoire emportent, malgré eux, les hommes. Femmes violentées, amours perdues, tyrannie du corps, les thématiques réapparaissent sous divers visages avec, en leitmotiv, la Tosca, cet opéra de Puccini qui hante les personnages. Cette "femme honnête et innocente qui se heurte aux forces du mal (…) prise dans l’étau de l’histoire" rejoint entre autres Magda Berg, cette Prussienne prisonnière du régime hitlérien. Plus encore, la relation des personnages avec leur corps, dont ils perdent le contrôle, est partagée par plusieurs. Que ce soit le culturisme de Louis ou de Gabriel Lamontagne, l’anorexie imposée aux chanteurs d’opéra ou l’oppression exercée par la religion, "dès qu’une force extérieure prend le contrôle de votre corps, c’est du fascisme, ou sa forme édulcorée, le catholicisme", écrit l’auteur.

Sans nous tenir la main, ni nous servir toutes les explications de ces histoires peuplées de signes et de mystère, Dupont maîtrise l’art de raconter, déployant plus de 500 pages sans jamais perdre le souffle, ni la virtuosité de sa plume souple qui cavale librement vers de nouvelles aventures mais ne précipite rien, connaissant le secret de la lenteur. En parcourant ce grand voyage démesuré et théâtral, on se dit que l’esprit baroque ne peut trouver meilleur ambassadeur, et que si les Américains ont John Irving et les Colombiens, Gabriel García Márquez, nous avons Eric Dupont. Et il les vaut bien.

La fiancée américaine
d’Eric Dupont
Éd. Marchand de feuilles, 2012, 557 p.

La fiancée américaine
La fiancée américaine
Éric Dupont
Marchand de feuilles